Mexica, dissolution d’une civilisation

Les archéologues comptent beaucoup sur les laboureurs, terrassiers et autres ouvriers en bâtiment. Les découvertes majeures passent souvent par eux. Ainsi, les employés d’une compagnie d’électricité de Mexico, en 1978, mirent au jour à la suite d’un fameux coup de pelle, une pierre circulaire qui n’était rien d’autre qu’une déesse de la Lune. Cette émergence avait un nom, Coyolxauhqui. Et derrière ou plutôt dessous, se trouvait un temple, puis les restes de la ville de Tenochtitlan et en fin de compte, rien de moins que la civilisation de Mexica qui vivait là tranquille, jusqu’au débarquement des Espagnols. Lesquels détruisirent à l’orée du 16e siècle, tout ce qui était possible. Cela donne jusqu’au mois de septembre une exposition pas loin d’être formidable au Musée du Quai Branly Jacques Chirac. Au sein de laquelle on peut voir une mise en situation à part résumant presque tout en deux images. À gauche ce qu’était la ville de Tenochtitlan et à droite, pile sur le même site, la ville de Mexico avec les mêmes montagnes en arrière-plan. Et de ce qui a pu être retiré des dessous de la capitale actuelle du Mexique, figurent des objets tous à peu près fascinants comme ce dieu du feu (ci-dessus), celui « qui réside au centre du monde » par où passe rien moins que l’arbre cosmique. Appelez-le Xiuhtecuhtli-Huehueteotl.

Il a l’air bien tranquille assis ainsi les bras croisés, tout en force statique, mais n’ayant pas vu venir son anéantissement. C’est en effet en 1519 que le distingué Hernán Cortés, après avoir médité son coup depuis l’île de Cuba, mobilise une flotte de 11 caravelles et 600 hommes, puis fond sur le Mexique afin d’y fonder la Nouvelle Espagne. Il va être puissamment aidé par le virus de la variole, lequel va décimer 90% de la population à conquérir, si l’on en croit un petit film pédagogique. Il n’y avait qu’à laisser cet agent de type orthopoxvirus faire le sale boulot et effacer ainsi, littéralement dissoudre, toute une civilisation qui n’avait rien demandé. Derrière chaque bar à tapas contemporain se cache une conquête qui ne faisait pas dans la dentelle, même si les premiers échanges avaient été, paraît-il, cordiaux. Et le fait que le Musée du Quai Branly nous donne jusqu’au mois de septembre un substantiel aperçu de qui était resté enfoui est une chance à ne pas manquer. Cependant que rien de ce qui nous est donné à voir ne se considère correctement sans avoir en mémoire cette mise à sac perpétrée par des chrétiens, oubliant quelque peu la parole de l’Évangile.

Le mot civilisation cher aux anthropologues, lequel donne un sens précieux au terme civisme et une origine exquise aux civilités, prend ici une valeur considérable. Les Mexicas, nommés longtemps et à tort les Aztèques, avaient une façon à la fois intellectuelle et mystique de définir l’existence en nommant des dieux avec des attributions particulières et en traçant les contours d’un système compliqué différenciant et juxtaposant tout à la fois dans un même être, le masculin et le féminin. D’après ce que l’on a pu interpréter, il y avait d’une part un monde « chaud, sec, lumineux, fort supérieur, ardent, diurne, masculin » et d’autre part, un univers « froid, humide, obscur, faible, inférieur, aqueux, nocturne, féminin ». Ce qui fait qu’à cette époque pas si lointaine, le brasero s’opposait à la jarre qui contenait l’eau, l’aigle au jaguar, l’or au jade, mais tout était partie constituante d’une même vision. Il est bon de se frotter à ces mystères si éloignés de ce que nous sommes aujourd’hui avec leur inframonde davantage dévolu au féminin où le jaguar et son comportement crépusculaire était associé au « soleil nocturne ». L’inframonde abritait « la région des morts, Mictlan et Tlalocan, le grand grenier source de vie », là où se trouvait aussi le dieu de la pluie.

Fascinante pérégrination à laquelle nous soumet cette scénographie aux ondes étranges. Celles émanant des offrandes, des symboles et des représentations divines comme une jarre bleue figurant le visage de Tialoc retrouvée dans la zone archéologique (centrale) du Templo Mayor, et enterrée comme ses semblables, à l’horizontale. Ce qui est extraordinaire, comme ce personnage à droite (sauf erreur dieu de la moisson), c’est le regard, une attitude générale, une forme, un ensemble qui parle encore. D’autant qu’il a la bouche ouverte mais le son qu’il contient sort aussi par les yeux. Il a l’air stupéfait, mais par quoi.

Au chapitre des leçons à retenir enfin, celle nous expliquant que les Mexicas avaient su tirer parti de l’environnement lacustre en créant par exemple nombre de canaux ruraux et urbains d’irrigation (parfois navigables) et des aqueducs. Les colonisateurs décidèrent de tout assécher.

PHB

« Mexica. Des dons et des dieux au Templo Mayor », Musée du Quai Branly Jacques Chirac, jusqu’au 8 septembre
Photos: ©PHB
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3 réponses à Mexica, dissolution d’une civilisation

  1. Tristan Felix dit :

    Toujours d’une grande humanité, ou plutôt d’un grand sens du « vivant » (terme qu’il sied de récupérer auprès des pilleurs institutionnels de mots), vos articles.

  2. anne chantal dit :

    Merci à vous, très bel article sur les découvertes du Templo Mayor, que j’ai eu la chance de visiter fin janvier . J’aime la figure du jaguar  » soleil nocturne »; sinon toutes ces représentations de divinités, sont plutôt monstrueuses, à vous donner la chair de poule, sans parler des murs recouverts de têtes de morts .
    Si je peux me permettre, sauf erreur : Tlaloc, et non Tialoc;
    cette civilisation ignorait tout du mot tendresse, et maintenait son peuple dans un état de peur , de frayeur, état facile pour une main mise sans concessions possibles .
    Les espagnols n’ont pas été plus charitables !!
    Les terrains ont été asséchés, mais les sols de la cathédrale, du parvis ne sont pas du tout à l’horizontale, et certains murs manquent vraiment de verticalité ! Mexico est sur un marécage …à 2200m d’altitude ..
    Juste pour prolonger le rêve ..et non le cauchemar !

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