C’est une course, une course folle de Calais en Érythrée, de Paris au Cameroun, ou jusqu’à Landerneau (le Finistère comme argument d’exotisme). Un grand voyage orchestré par Alexis Michalik, auteur et metteur en scène. Une fois de plus, de main de maître. Bienvenue dans un nouveau tourbillon. « Passeport », c’est son nom, une pièce actuellement au (magnifique) Théâtre de la Renaissance. Le passeport en question, c’est celui qui ne permet pas de passer les frontières. Alors on cogne d’un bord à l’autre, comme une boule de flipper, qui ne veut pas sortir par la trappe du bas mais trouver l’issue cachée tout en haut, la destination rêvée. Fantasmée, plutôt, car la réalité est souvent bien différente. La pièce dit la quête d’identité, individuelle mais à vrai dire universelle. Elle parle d’intolérance, de clandestinité, de police et de coups bas, de débrouille. Parce que l’immigration ce n’est pas que toute la misère du monde. C’est aussi l’espoir d’une vie meilleure. Cela est conté ici sans lamentation. Avec émotion, oui, et avec le sourire aussi, le rire parfois même, tout est subtil. Émouvant et drôle, Alexis Michalik sait bien nous promener. Il réussit encore son coup. Avec lui, le spectateur est emporté, il se laisse porter avec délice.
Alors, l’histoire, le pitch, le scénario … non, chut, faites-moi confiance. Ce n’est pas prise de tête, pas d’envolée lyrique, c’est simple et efficace. Juste une valse qui vous enlève sans vous relâcher. Il n’y a pas de jugement, même le petit blanc odieux avec la petite amie noire de son fils (pourtant noir lui aussi, mais adopté, enfin, bref, je ne vais pas tout expliquer …) … même le petit blanc donc a ses faiblesses et termine presque attachant … ah, non, je ne vais rien expliquer du tout, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Et avec « Passeport » on ressort de fait un brin pompette.
« Passeport » ne donne pas de leçon de bonne conscience, donc. Les clandestins ici nous font partager leur(s) aventure(s), ils sont livreurs uberisés en vélo, commis puis chef de cuisine, ils espèrent, tombent, se relèvent, retombent.
Les acteurs, tous très convaincants, qui forment une troupe, tous à égalité, chacun va et vient, arrive souvent avec un bout de décor, souvent une caisse, une chaise, quitte la scène avec autre chose. Comme toujours avec Alexis Michalik en chef d’orchestre, le spectateur assiste à un incessant ballet de comédiens, chacun entre en piste, excelle, passe le relais. Les comédiens jouent plusieurs rôles, c’est vif. Il y a l’Indien et le Syrien, la Malienne née à Toulouse et le Français dit de souche. Les personnages comme les lieux traversés racontent le monde entier. Un melting pot poignant et enjoué. La vie, quoi.
Bravo et merci donc à Monsieur l’auteur et metteur en scène et à sa bande. Multi-représenté dans Les Soirées de Paris, bon sang depuis plus de dix ans, Alexis Michalik est un magicien. Il nous a aussi fait voyager en 2019 avec « Loin », son premier roman, et avec son premier film, Edmond, qui avait suivi la pièce du même nom narrant les coulisses de la création de Cyrano de Bergerac. Que de chemin et de récompenses depuis « Le Porteur d’Histoire ». Spéciale dédicace du modeste auteur des présentes lignes au « Cercle des Illusionnistes », sur la magie du cinéma et l’inverse. Même « Passeport » en poche et nous parlant de migrants, Alexis Michalik est un bel illusionniste, en effet. Ne vous laissez ni effrayer ni séduire a priori par ce thème de l’immigré contemporain, le sujet de fond est important, certes, mais avec cet auteur et metteur en scène, le spectateur voyage dans tous les cas. De Bamako à Landerneau. Et on ressort Porte Saint-Martin, un petit vent froid, qu’importe, le « Passeport » est bien en règle.
Byam
« Passeport » au Théâtre de la Renaissance
Photos: ©Alejandro Guerrero