À vrai dire, depuis huit siècles, les fonts baptismaux du grand Saint-Louis ne sont plus indemnes. Au sein de la Collégiale de Poissy (Yvelines) protégés par une grille et reliés par une barre de fer, ils évoquent plutôt et soit dit sans méchanceté, un reliquat de chantier oublié. C’est là ce 25 avril 1214, que l’on a baptisé Louis IX alias Saint-Louis, chaînon tout à fait remarquable de la famille des capétiens. Lui qui théoriserait une fois mûr, ce qui allait devenir la présomption d’innocence, entre autres éléments de modernisation du droit. Et à bien regarder cette vasque, ce qui est une façon de parler tellement cette collégiale est sombre, l’histoire de Saint-Louis contient bien des références à nos actualités plus ou moins récentes. Et pas seulement pour la présomption d’innocence dont il publia une base en 1256. Via une grande ordonnance qui postulait que « Nul ne sera privé de son droit sans faute reconnue et sans procès « .
Pour ce qui est de la laïcité en revanche, concept contemporain hautement fragile, Saint-Louis roulait à contresens tous phares allumés. Baptisé dans la collégiale on l’a vu, considérant d’ailleurs que c’était là sa vraie naissance, il a été couronné dans la cathédrale de Reims, s’est marié dans celle de Sens et fut inhumé à la basilique Saint-Denis. Il ordonna la construction d’édifices religieux, se fit fort de convertir des princes mongols et se procura des reliques de la Passion qui justifieront la construction de la Sainte-Chapelle en 1242. Tant qu’à être chrétien, autant l’être à fond et des récits de son mariage avec la très jeune Marguerite (à peine adolescente), il ressort qu’il dut prier durant trois jours avant d’oser aller plus loin. Disons qu’au moins la légende est authentique et que cela faisait sans doute les affaires de l’Église que de communiquer autour d’une telle piété. Sa foi chevillée au corps ne fera en revanche ni les affaires des juifs ni celles des musulmans ou des adeptes de la foi cathare, avec ses façons à lui d’expliquer fermement à tout le monde la suprématie du christianisme.
Saint-Louis avait banni certaines pratiques pour le moins obscures dont l’ordalie. Une méthode brutale qui ajoutait aux souffrances, un principe totalement idiot. En effet, quand l’on voulait savoir si quelqu’un s’était rendu coupable de quelque chose, il lui était imposé une épreuve comme celle consistant à saisir des braises à mains nues. Si les blessures cicatrisaient vite, il en était conclu que l’homme était innocent, car la guérison rapide supposait une intervention de Dieu. Dans le cas contraire la situation du malheureux irait de mal en pis. On a beau chercher, il n’est rien resté de cette pratique, du moins dans nos démocraties modernes où la religion se tient en principe à l’écart des prétoires.
Avant d’aller mourir à Tunis en 1270 en une énième croisade au nom de Dieu, lequel commençait à se lasser de la série, Saint-Louis avait fait quelques réformes intéressantes dont au moins une que Napoléon plus tard, s’appliquerait à parfaire. Il s’agissait d’un « pilote » de la future Cour des Comptes, car le souverain n’entendait pas que l’on fît grande dépense. Ainsi l’avait-il dit à son fils dans un testament dont le contenu est en partie visible à Poissy: « Cher fils, je t’enseigne que tu aies une solide intention que les deniers que tu dépenseras soient dépensés à bon usage et qu’ils soient levés justement. Et c’est un sens que je voudrais beaucoup que tu eusses, c’est-à-dire que tu te gardasses de dépenses frivoles et de perceptions injustes et que tes deniers fussent justement levés et bien employés (…). » Mais il faut bien avouer que ce bon principe a un peu faibli si on en juge par la désinvolture actuellement de mise, en matière de finance publique.
Toujours méditant devant ces fonts baptismaux de la collégiale de Poissy, on se souviendra également, que si Saint-Louis réprouvait la prostitution, il ne pouvait que constater l’impossibilité de la juguler. Ce qui fait que l’Histoire lui attribue la création des bordels, ouvrant ce faisant, une longue période dite de tolérance. Là aussi l’approche restera fluctuante selon les époques, de même -on y revient tous les jours- que la fameuse présomption d’innocence trop souvent considérée comme un paillasson par les spécialistes de justice expéditive, prospérant sur les réseaux sociaux. Et tout cela sortant comme un écho de quelques pierres dépareillées, que l’on peut percevoir dans les moments de grand silence, entre deux messes.
À l’extérieur de la collégiale, la statue de Monsieur Louis se dresse dans l’axe de l’unique tour. Sa puissance y est symbolisée par une épée dont la taille fait la moitié du corps. Et l’on peut à son ombre méditer toute l’histoire du saint homme et tout son palmarès.
PHB