Marivaux bien servi

Vous reprendrez bien un peu de Marivaux ? Une nouvelle livraison du « Jeu de l’amour et du hasard » en l’occurrence, classique parmi les classiques. Et pourtant on redécouvre en ce moment au Lucernaire cette pièce presque tricentenaire (1730). Un nouveau printemps animé par «une bande de jeunes qui s’fend la gueule» si vous me permettez l’expression, elle dit bien la fougue de l’équipe de la compagnie l’Émeute. Qui donc déploie beaucoup d’énergie pour nous entraîner dans le labyrinthe du sentiment amoureux. Les chevaux sont lâchés, mais dans le respect de l’intrigue et de la langue originales. Le propos est donc souvent léger, car ici par définition règne le marivaudage, cet art du discours galant. C’est drôle aussi, et le jeu des comédiens n’y est pas étranger, par exemple Dennis Mader en Arlequin, valet en savoureux contre-emploi dans le costume de son maître. Ça court en tous sens et de tous côtés. Même l’ajout de quelques courts passages de musique « contemporaine » comme « Ti Amo » d’Umberto Tozzi tombe bien, avec ou sans boule à facettes.

Les comédiens donc, sont tous jeunes et convaincants, sous la houlette du metteur en scène Frédéric Cherboeuf.  De Lucile Jehel en Silvia à Justine Teulié en Lisette, ou inversement, je m’y perds. Même savoureux trouble du personnage inversé avec Adib Cheikhi en Dorante … ou alors Arlequin ? Les deux, mon capitaine. Last but not least, en arbitres du chassé-croisé amoureux, observateurs avertis, Matthieu Gambier campe Monsieur Orgon et Jérémie Guilain son fils Mario. Le frère de Silvia en somme, vous suivez ? Non ? Tant mieux.

Ces deux derniers comédiens, Matthieu Gambier et Jérémie Guilain, donc, nous font d’ailleurs rire bien avant que la pièce ne commence. L’un accueille les spectateurs avec le sourire, en gardant un œil sur son compère qui n’a pas consommé avec modération comme le veut la bienséance. Il a le regard vitreux, souligné par un maquillage noir autour des yeux, il titube, monte quelques marches des gradins (ah les fameuses banquettes du Lucernaire … et c’est deux personnes par banquette, Mesdames, Messieurs), revient sur scène pour s’approcher du réfrigérateur où il espère pouvoir se ravitailler … sans paroles, ils nous font rire de bon cœur. C’est si bien mené que ma voisine, non, pas ma voisine habituelle, à ma droite, mais celle de gauche, une spectatrice collector comme tout professionnel du spectacle voudrait en voir remplir les salles, elle, donc, se demande si «c’est de l’acting ou pas ?». Voilà donc deux comédiens si doués qu’une spectatrice après quelques minutes se demande si elle observe un comédien sobre (enfin bon …) ou un gars réellement ivre. Encore quelques instants et elle appelle la sécurité pour libérer la scène de ce malotru. Mais non, ça y est, cette fois, voilà Marivaux. Mario a retrouvé toute sa lucidité.

Il lui en faudra pour suivre le rythme de cette pièce enjouée donc, mais aussi plus sérieusement marquée de lutte des classes et des sexes. Cela dans un décor lui aussi remis au goût du jour, ou plutôt fait de bric et de broc, du vieux frigo donc aux canapés fait de palettes de bois.

Bref, une bonne soirée comme souvent à l’incontournable Lucernaire. On y joue sur écran comme sur scène beaucoup de bonnes choses. Par exemple en ce moment également « Les travailleurs de la mer », adapté du roman de Victor Hugo. Elya Birman, impeccable, est seul sur scène. Il chuchote ou crie, s’allonge ou court, sourit ou pleure. C’est ténébreux, l’auteur et l’interprète nous emportent par-delà la tempête au cœur du sauvetage d’un navire par un homme amoureux. C’est aussi sombre que « Le jeu de l’amour et du hasard » est lumineux. Ce qui en soi n’est pas un jugement, c’est juste «deux salles, deux ambiances» rue Notre-Dame-des-Champs.

Byam

Le jeu de l’amour et du hasard, jusqu’au 24 mars
Les travailleurs de la mer, jusqu’au 17 mars
Photos: ©Mcaelicia
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