On ne sait pas exactement quand eut lieu le procès, s’il a même jamais existé, mais les faits rapportés situent son déroulement à Hanovre. Ce qui paraît un peu bizarre pour un prévenu nommé Théodore Baveux dans la mesure où le patronyme ne sonne que d’assez loin allemand. Mais admettons. L’homme était accusé d’avoir empoisonné son épouse en en lui servant à déjeuner, un vol-au-vent empoisonné à la strychnine. L’enquête avait prouvé qu’il s’était procuré de cette substance auprès d’un pharmacien. Mais c’était selon lui pour buter des punaises et non afin de tuer sa femme. Le tribunal lui rappela tout de même que sa concierge l’avait entendu dire qu’étant donné son caractère, il ferait « passer à sa femme le goût du pain ». M.Baveux ne se démonta pas et répliqua finement à l’interrogateur qu’il avait effectivement prononcé cette phrase mais qu’il n’avait jamais dit, en revanche, qu’il ferait « passer à sa femme le goût du vol-au-vent ». Déjà invraisemblable, il ressort de cet anecdote parue en 1926 dans l’Almanach National aux éditions du Pêle-Mêle, que le sieur Baveux échappa à la peine de mort car le véritable assassin se fit connaître à la fin de façon très étonnante.
Le but des almanachs était en début d’année, de distraire jour après jour, les foyers honnêtes avec des informations pratiques et quelques historiettes à l’humour pour le moins mince. Si l’on trouve encore l’Almanach Vermot, le marché, longtemps assuré par le calendrier des postes, n’existe plus guère. On situe ses origines avec l’arrivée de l’imprimerie et par un clin d’œil dont l’histoire a le secret, il a disparu avec les imprimantes. Les almanachs avaient leurs auteurs et François Rabelais (15e-16e) en fut l’un des fameux. L’origine du mot trouverait sa source dans le langage syriaque mais on l’a identifié également dans le vocabulaire latin. Toujours est-il que la formule faite de papier pas cher a connu son succès avec des produits intégrés comme le « menu du jour », des conseils de cordon bleu ou encore la définition du caractère d’après le « prénom du jour ». Ainsi, le 14 janvier 1926, hormis la question du vol-au-vent-surprise, le lecteur était averti que les Vincent étaient « très confiants en eux-mêmes, très finauds et se jugeant toujours très heureux ». C’étaient aussi « de beaux-parleurs d’après l’almanach, raisonneurs et s’estimant beaucoup ». De quoi débattre sans se fâcher au dîner entre le potage Sévigné, les choux de Bruxelles au beurre et la compote de reines-claudes.
Mais le plus déconcertant, vu d’aujourd’hui, c’était les blagues, tellement idiotes qu’elles sont devenues difficiles à comprendre. Et quand on en saisit enfin la clé, on cherche les mots tellement c’est bête. Par exemple un dessin montrait un pêcheur dont l’hameçon s’était accroché par mégarde derrière sa nuque, sur le col de sa vareuse. Eh bien, stupéfait, l’homme s’exclama alors, « quel est donc l’imbécile qui s’amuse à me tirer par le collet »? Tordant n’est-ce-pas. Ou encore cette invective (à peine du niveau Carambar) en bas d’un autre dessin: « Et puis, tu sais, la femme de l’homme-serpent, elle a une langue de vipère! » Tout à fait cocasse il faut bien l’avouer et c’est à se demander, en inversant les choses si le lecteur de l’almanach millésime 1926, arriverait à seulement comprendre une Blanche Gardin ou un Paul Mirabel.
Dans le même temps et en bas de page, quelques citations de personnages illustres venaient relever le niveau. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) énonçant que « le premier pas vers le bien est de ne pas faire le mal », OK, tout comme cette morale du Talmud publiée le 28 octobre rappelant que « le mauvais penchant est d’abord un passant, puis notre hôte, puis notre maître ».
Certaines choses vantées en fin d’album n’ont plus cours comme le message télautographique soit un genre de fax avant l’heure et des radio-télégrammes bien plus amusants puisque le contenu de la missive était lu à la radio. Afin que nul n’ignore qu’untel avait oublié les clés du camion. Les publicités n’étaient pas si nombreuses et il ne nous a pas échappé, en cohérence avec toutes les bonnes plaisanteries qui jalonnent l’ouvrage, qu’il existait par ailleurs un catalogue intitulé « Le record du rire », empli de « farces désopilantes, tours de cartes sensationnels, hypnotisme pratique etc. » le tout pour un franc à adresser avec nom et adresse à la maison Gobin au 9 boulevard Saint-Martin dans le troisième arrondissement. Une enseigne de « toute confiance » qui postulait que les désirs de ses clients « étaient des ordres ». Moyennant quoi 1927 allait être aussi désopilant que le millésime précédent. D’ailleurs chaque année c’est toujours comme ça, il n’y a qu’à lire le journal.
PHB