L’époque fut incroyablement foisonnante; et tout autant l’exposition qui lui est consacrée au Petit Palais : “Le Paris de la modernité, 1905-1925”. Un parcours en 11 sections et près de 400 œuvres illustrent le bouillonnement artistique et culturel de cette période. De la Belle Époque aux années folles, Paris, on le sait, a attiré les artistes du monde entier, de Picasso à Modigliani, en passant par Chana Orloff ou Marie Vassilieff. Ville-Monde par excellence, elle fut la scène des innovations, avec son emblématique Tour Eiffel, maintes fois peinte par Robert Delaunay et dont une des représentations orne d’ailleurs l’affiche de l’exposition (un détail de “Paris – Die Frau und der Turm”, 1925). Les avant-gardes s’y déployaient dans tous les domaines artistiques: peinture, dessin, sculpture, photographie, cinéma, mode, mais aussi littérature, musique, danse, architecture, design… Mais les inventions n’étaient pas qu’artistiques et la création ne se cantonnait pas uniquement aux quartiers de Montmartre et de Montparnasse.
Le Petit Palais a ainsi choisi d’apporter un éclairage un peu plus nuancé sur cette période en se concentrant sur un périmètre géographique, celui des Champs-Élysées, où se tenaient les Salons d’Automne et des Indépendants, mais aussi d’évoquer les progrès de la technique et de l’industrie qui ont influencé les artistes ainsi que la place non négligeable des femmes dans les grands mouvements artistiques de la modernité. S’il est parfois aisé de perdre le fil tant l’exposition s’avère riche, c’est néanmoins une des plus belles pages de l’histoire de l’art (avec le fauvisme, le cubisme, le futurisme, Dada, le Surréalisme…) qui s’offre à nous à travers des œuvres exceptionnelles que l’on prend toujours plaisir à voir et à revoir.
“Le soleil de l’art ne brillait alors qu’à Paris, et il me semblait et il me semble jusqu’à présent qu’il n’y a pas de plus grande révolution de l’œil que celle que j’ai rencontrée en 1910, à mon arrivée à Paris.” La phrase est de Marc Chagall. Ici l’entrée pour “Le Paris de la modernité” se fait par le quartier des Champs-Élysées. Un plan agrandi nous le détaille, se déployant de la Place de la Concorde à l’Arc de Triomphe et à l’Esplanade des Invalides. Y figurent une dizaine d’adresses qui ont leur importance et seront développées par la suite : le Petit et le Grand Palais, le Théâtre des Champs-Élysées, la Galerie La Boétie, les péniches de Paul Poiret à l’Exposition de 1925, la Maison de couture de Jeanne Lanvin… Ainsi le Grand Palais accueille-t-il chaque année les Salons d’Automne et des Indépendants consacrés à la création ; y sont montrées notamment les œuvres du Douanier Rousseau, d’Henri Matisse ou de Kees van Dongen. Depuis 1901, il accueille également le Salon international de l’automobile, du cycle et des sports dont une partie est consacrée, à partir de 1908, aux aéroplanes et aux ballons.
Et, comme l’illustre la présentation de “Roue de bicyclette” (1913-1914) de Marcel Duchamp, c’est suite à une visite, en 1912, au IVe Salon de la locomotion aérienne avec Fernand Léger et Constantin Brancusi que son auteur aurait été captivé par une grande hélice exposée au milieu d’aéroplanes et se serait emparé d’un tabouret pour y fixer une roue, érigeant ainsi les objets en œuvre d’art et inventant par là même le concept du ready-made. Le Petit Palais, quant à lui, est au cœur de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Le Théâtre des Champs-Élysées, ouvert en 1913, voit se produire sur sa scène les Ballets russes, puis les Ballets suédois, et Joséphine Baker dans la Revue Nègre. Un peu plus loin, avenue d’Antin (aujourd’hui Franklin Roosevelt), le grand couturier Paul Poiret donne de mémorables fêtes dans son hôtel particulier, avec déguisements et mises en scène spectaculaires. Pablo Picasso, abandonnant la vie de bohème, vit désormais rue La Boétie avec Olga. Rue Boissy d’Anglas, Jean Cocteau attire le Tout-Paris au Bœuf sur le Toit et, avenue Kléber, la galerie Au sans Pareil s’ouvre à Dada et au Surréalisme…
Picasso -avec notamment le sublime “Portrait d’Olga dans un fauteuil” (1918, ci-dessous) qui trônait au-dessus du lit du couple dans leur appartement de la rue La Boétie-, Braque, Pascin, Le Fauconnier, Metzinger, Mondrian, Severini, Valentine Hugo, Zadkine, Marevna, Foujita, Jeanne Hébuterne, Félix Vallotton, Man Ray, Soutine, Fernand Léger, Tamara de Lempicka, Irène Lagut… la liste est longue et donne le tournis. À noter de très beaux portraits d’Apollinaire par Jean Cocteau, présent aussi à travers d’autres dessins et photographies et une évocation du ballet “Parade” (1917).
Parmi moult merveilles, l’exposition offre également à voir des tenues de Paul Poiret, Jeanne Lanvin, Jean Patou, des bijoux de la Maison Cartier ou encore un aéroplane de 1911 et une Peugeot de 1913!
Et c’est sur une photographie de la Tour Eiffel éclairée par Jacopozzi lors de l’Exposition de 1925 que se clôt cette fascinante rétrospective. À l’image de la création qui l’habitait, il aurait été impensable que Paris ne scintille pas de tous ses feux.
Isabelle Fauvel
Vous avez été émerveillée par ce foisonnement, tout comme moi, ne sachant pas toujours où tourner le regard. le Boeuf sur le toit a été trop chichement célébré, même pas le tableau de l’oeil cacodylate ! J’aurais aimé quelques toiles supplémentaires de Tamara de Lempicka et Van Dongen…. Pas assez de place! Mais c’est magnifique; courez-y …