En cette année de célébration du centième anniversaire de la naissance de Maria Callas en 1923 à New York, le mythe Callas demeure intact sur tous les plans. On peut dire que rien n’a changé depuis le jour de sa mort solitaire et prématurée, à 54 ans, le 16 septembre 1977, 36 avenue Georges Mandel à Paris. Tout fut et demeure mythique chez elle, à commencer par le jour exact de sa naissance (le 3 décembre? le 4? en fait le 2…) ou la cause de sa mort (accident cardiaque? suicide?). Mourir si jeune ne faisant qu’ajouter du mythe au mythe. Autre mythe et autre paradoxe: si sa gloire lyrique, le sommet de son art, comme on dit, ne dépasse pas pour certains dix années (les années 1950), pour d’autres disons quinze ans, jusque vers 1965, il y a tout simplement un avant et un après Callas dans l’histoire de l’opéra. Elle a révolutionné le genre lyrique et l’a remis au goût du jour. En dix, quinze ans, pas plus. Ne l’oublions pas.
C’est ce dont il faut se souvenir avant tout, et comprendre comment elle a opéré cette révolution. Bien entendu elle avait des moyens vocaux exceptionnels, et sa mère Evangelia semble l’avoir décelé, qui poussait sa petite fille de 10 ans à participer à des concours de chant enfantins, ce dont la petite fille lui en voudra toujours (toujours !), mais lui a appris prématurément discipline et travail. Et bien sûr il y a le retour au pays, le retour à Athènes de la mère et de ses deux filles en 1937, et la rencontre miraculeuse de Maria avec son professeur Elvira de Hidalgo au jeune Conservatoire d’Athènes. Elvira commence par définir le timbre de la voix de Maria, celui d’une soprano lyrique et non d’une contralto. Étape absolument cruciale, car se tromper de tessiture peut ruiner une voix. La tessiture de l’élève couvrira trois octaves, phénomène rarissime presque jamais mentionné, on ne sait pourquoi, alors que cela lui a permis de chanter l’opéra comme nulle autre. Et quel travail ! Quel acharnement pour dompter cette voix rebelle qu’elle a dit ne pas aimer. Elle a dû batailler durement avec «son organe».
Seconde bénédiction : Elvira enseigne à son élève modèle les règles perdues du «bel canto» ou «beau chant». Par quel miracle ? On ne sait pas. Depuis la vague vériste («verismo») succédant tardivement à la «Carmen» de Bizet (Mascagni «Cavalleria Rusticana»1890, Leoncavallo «Paillasse» 1892, Puccini «Il Tabarro» 1918), les cantatrices et autres ténors ont pris de mauvaises habitudes, celles de crier, de sangloter, et de savonner les partitions. On dit aussi que le cinéma et ses stars ont détourné les foules des scènes lyriques. Mais pour séduire les foules, il faut suivre les admirables règles du «buon canto» établies vers 1860 avec Haendel ou Mozart, puis servies par Rossini, Bellini, Donizetti, Spontini, et le premier Verdi. Règles difficiles, complexes, exigeant plus de dix ans de formation de la voix au minimum, pour atteindre à la maîtrise des trois registres vocaux, des pianissimi et autres variations et ornements. Mais quand tout y est, quel bonheur, quelle extase même, pour le public, comme en donne tout accomplissement humain du plus haut niveau : le sentiment d’assister à quelque chose de très rare comblant tous les sens.
C’est donc tout un répertoire oublié que va servir la Callas, puisqu’on ne savait plus le chanter, et c’est ainsi qu’il y a un avant et après Callas, dont nous nous délectons jusqu’à aujourd’hui. Les Schwarzkopf, Sutherland, Caballé, Verrett, Crespin, Los Angeles, toutes marcheront dans les traces de la «Divina», comme aujourd’hui les Bartoli, Netrebko, Radvanovsky ou Yoncheva. Les ténors devant eux aussi, bien entendu, sacrifier à l’ascèse belcantiste.
Le révolution Callas, l’avant et l’après, se situe également sur un autre plan, celui de l’interprétation, et c’est sur ce terrain qu’il faut situer la fameuse rivalité Callas-Tebaldi, qui fit les choux gras de la presse, tout autant que ses frasques avec Onassis. Elles ont le même âge (Tebaldi naît en 1922), et débutent à peu près au même moment. La Tebaldi est choisie en 1946 par Toscanini pour le concert de réouverture de la Scala abîmée pendant la guerre, et le maestro aurait déclaré qu’elle a «la voce del angelo» comme il y en a une par siècle. Il y aura rivalité, Callas régnant ensuite à la Scala, Tebaldi au Met, mais leur voix et leur répertoire sont différents. Et surtout leur tempérament, la Callas introduisant sur les scènes du monde entier le règne de la cantatrice-actrice. Si la Tebaldi éblouit par sa voix ample et chaude, la Callas est une tragédienne de premier plan, et jusqu’à ce jour, on demande maintenant aux divas et divos d’être à la fois des acteurs autant que des chanteurs. On disait autrefois «L’opéra n’est pas terminé tant que la grosse dame n’a pas chanté», vieux dicton auquel la Callas a mis fin à tout jamais.
Lise Bloch-Morhange
Arte tv concerts, cinq documentaires sur la Callas
Photo: CBS Television, Public domain, via Wikimedia Commons
Beau rappel, merci
Merci, cela m’a intéressée.