Le vitrail et pas l’émail

La jeune femme est à l’œuvre, tenant son pinceau de la main droite et un vase de la main gauche. Derrière le ciel est séparé de bandes bleues et blanches. Et le couloir bleu qui coule en bas c’est la Vienne, avec en arrière-plan quelque chose qui doit être la ville de Limoges. Francis Chigot a grandi dans cette ville depuis 1879, l’année où il vit le jour.  Devenu maître verrier c’est tout naturellement qu’il a traité sa région. Ce vitrail est visible actuellement à Troyes dans le cadre d’une exposition temporaire intitulée « Un monde de lumières ». Comme la scénographie est bien faite, il est possible au visiteur de comparer la gouache du départ, signée Léon Jouhaud et ce qu’il en advient, une fois transposé sur du verre (ci-contre). Le vitrail y perd en nuances ce qu’il y gagne en force. La simplification s’opère au bénéfice de l’essentiel. Cette « Émaillerie limousine » date de 1908 et relève de l’Art Nouveau tandis que les années passant, la production de Francis Chigot rejoindra l’Art Déco, ce style aussi éphémère qu’élégant et moderne en diable. Disparu en 1960 à quatre-vingt ans l’artiste, par ailleurs amateur de jazz et d’opéra,  suivait son époque, ce qui lui permettait de mieux garnir son carnet de commandes et de faire vivre son atelier.

Francis Chigot ne ménageait pas ses efforts pour diffuser son travail, laissant davantage de traces, c’est tout le privilège du vitrail, dans les lieux de vie plutôt que dans les musées. On peut ainsi voir ce qu’il a fait au sein de la volumineuse gare des Bénédictins avec quelque 775 mètres carrés de verrières, mais aussi à Vichy au Petit Casino (d’après une esquisse de Pierre Parot) actuel centre culturel, dans une église canadienne ou encore à Conakry (Guinée). Certaines idées sont donc restées à l’état de cartons peints mais il est bien qu’au moins, au sein de l’exposition ou du catalogue, l’on puisse en apprécier la délicatesse.

Comme il était croyant et que par ailleurs les églises étaient de bons commanditaires pour l’achat ou la restauration, la question religieuse prit évidemment une bonne place dans sa production avec des nativités et toutes les figures obligées du genre que l’on peut trouver un peu lassantes à la longue sauf que son style s’impose par sa grande maîtrise de l’Art Déco. Ce qui permet de faire abstraction du thème lorsque la piété du visiteur est pour le moins à parfaire. On pourra leur préférer les vitraux moins spirituels et davantage reposants pour l’esprit avec des scènes de campagne et même une marine (dans le catalogue) ce qui n’est pas commun pour un Limougeaud. En 1910 il exécute ainsi un sobre « Bateaux pêcheurs ». Pour simuler le tremblement de la mer, il utilise du verre chenillé qui permet de faire croire le cas échéant au mouvement d’un tissu agité par le vent. Cité dans le catalogue, un journaliste du Limoges Illustré se pâmait de la sorte: « Oh! Cette mer transparente et nacrée, ces deux bateaux pêchant de conserve, avec leurs voiles latines, l’une rosée, l’autre bleutée, se reflétant sur l’onde en une mourante traînée, un rêve romantique et délicieux. » Cela dit assez clairement le côté bienfaisant qu’il y a à s’attarder devant ce qui nous est proposé ici. À noter que l’on apprend aussi que la pureté des verres découpés à l’époque moderne présentait paradoxalement un inconvénient. Par rapport aux défauts des vitraux anciens qui favorisaient par leurs aspérités et leurs accidents de nivellement, des jeux de lumière qu’une surface trop nette interdisait. Francis Chigot trouvera le procédé pour restituer artificiellement les mêmes effets.

Il fut une époque où les particuliers (autre terrain commercial de l’artiste) aimaient à garnir leur logis de vitraux et il n’est pas rare à Paris-même de découvrir çà et là, au hasard d’une visite, des portes de salles de bains ou des fenêtres de cuisine issus d’ateliers connus. Ce qui au passage, fait bouillonner d’envie moult antiquaires. C’est comme cela qu’il nous est montré une grande scène de trois mètres de long (détail ci-contre) et baptisée disons de façon un peu démodée, « Prélude à l’après-midi d’un faune » où l’on voit deux nymphes de ton rouge vif se prélasser au bord de l’onde tandis qu’un faune de la même couleur joue de la flûte avec quelque idée derrière la tête. Il avait été commandé à Francis Chigot par l’un de ses amis, un industriel qui se faisait construire une maison à Saint-Priest-Taurion, localité de la Haute-Vienne dont la réputation secrète ne se savoure qu’entre grands initiés.

En tout cas, cette exposition organisée conjointement par la Cité du Vitrail et le Musée des Beaux-Arts de Limoges, malgré les 470 kilomètres qui séparent les deux cités, porte bien son titre. C’est l’énorme avantage technique du vitrail sur la peinture que de pouvoir briller et même scintiller, tout comme la surface de la Seine qui borde ici la Cité depuis son lit à peine plus large qu’un canapé.

PHB

« Francis Chigot, un monde de lumières », jusqu’au 8 mars 2024, Cité du Vitrail, Troyes, 31 quai des Comtes de Champagne

Photos: ©PHB

 

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5 réponses à Le vitrail et pas l’émail

  1. G Capelle dit :

    ces deux bateaux pêchant de conserve… la sardine sans doute.

  2. Marie J dit :

    Est-ce que cet artiste pourrait avoir produit des vitraux pour la Villa Laurens, petit château récemment restauré à Agde, construit par un riche propriétaire qui a beaucoup soigné le choix des vitraux ? En esprit, ça y ressemble beaucoup.
    Par ailleurs, Saint-Priest-Taurion, oui bien sûr 🙂

  3. Marie-Hélène Fauveau dit :

    bon Agde j’ai vu (!) mais
    A quand un article sur toutes vos adresses secrètes ?
    Merci et meilleurs voeux pour l’an nouveau à toute l’équipe et ses lecteurs.

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