Perret au Havre : l’esthétisme d’un visionnaire

Il serait dommage de séjourner au Havre sans visiter l’appartement-témoin des immeubles d’habitation reconstruits par Auguste Perret au lendemain de la Seconde guerre mondiale. La visite (guidée obligatoire) commence à l’extérieur d’un îlot de Perret où une guide passionnée explique la reconstruction du Havre en l’éclairant d’informations techniques sur les travaux de l’Atelier de Perret. La porte de l’appartement témoin franchie, les visiteurs s’extasient. Il séduit par son élégance, son confort, sa modernité, sa lumière, son côté novateur et fonctionnel. Et il séduit d’autant plus que son mobilier des années 1950 est devenu tendance. Il fait très envie aux jeunes couples de visiteurs parisiens, qui vivent dans un logement étriqué et mal aéré. Quant aux commentaires de leurs ainés baby-boomers, ils vont bon train. En reconnaissant un équipement, ils se retrouvent soudain plongés dans leur passé : «Ma grand-mère avait la même cocotte-minute et la même yaourtière Yalacta !», «Le frigo de mon enfance !», «Mais c’est exactement le meuble du bureau de mon père !»

Les aménagements proposés pour reloger les sinistrés offrent un confort moderne inouï pour l’époque. Les logements traversants et lumineux ont une cuisine et salle de bains intégrés ainsi qu’un chauffage collectif. De plus, aucun mur intérieur n’étant porteur, leur plan est flexible. Des cloisons peuvent être ajoutées pour moduler la surface au gré de l’agrandissement des familles. Les meubles de l’appartement reconstitué sont de de R. Gabriel, A. Beaudoin et M. Gascoin. Un mobilier sobre, rationnel et de qualité, produit en série (une nouveauté) qui a donné naissance au design et est devenu accessible au goût et budget d’une large clientèle. Ces aménagements répondent à l’ambition d’Auguste Perret d’offrir aux Havrais un endroit spacieux et calme, ensoleillé et bien aéré en réalisant du durable.

À la Libération, les besoins de reconstruction du Havre sont énormes. La ville, port stratégique, a été lourdement bombardée durant la Seconde Guerre. En septembre 1944, les raids alliés qui doivent retarder l’avancée allemande, ont atteint un paroxysme faisant place à une gigantesque table rase. Faute d’accord entre l’armée britannique et l’armée allemande, les civils n’ont pu être évacués et 2053 personnes sont tuées portant le total de guerre à plus de 5000 morts. Avec 10.000 immeubles détruits et 80.000 sans-abri -en 1939 la population du Havre était de 160.000 habitants -le Havre est la plus grande ville française détruite et l’une des villes les plus sinistrées d’Europe.

La situation est grave et le ministre de la Reconstruction prend des mesures ad hoc. Pour rebâtir la ville, il fait appel à l’architecte de renommée internationale Auguste Perret, alors âgé de 71 ans. Maître du béton armé, il est déjà l’auteur d’importantes réalisations émanant de commandes publiques. Entouré d’une équipe bien formée, il est le seul architecte français à pouvoir s’appuyer sur un atelier cohérent dont l’ambition est de reconstruire des villes modernes et harmonieuses. Il s’agit cette fois de reconstruire 150 hectares d‘un seul tenant en un ensemble homogène.

La reconstruction s’étalera sur 20 ans -de 1945 à 1964- et ce chantier sera un prodigieux laboratoire d’expérimentation. Grâce à une utilisation novatrice du béton, les éléments pourront être préfabriqués et les panneaux montés rapidement suivant un schéma modulaire constant. Le chantier débouchera sur un ensemble unique et de qualité agencé en îlots et composé d’immeubles d’habitation, d’équipements publics, de commerces et de bureaux. Cet ensemble, qui n’a pas été dégradé et est toujours habité, témoigne à la fois des reconstructions d’après-guerre et du glissement vers la modernité. Il a été inscrit au Patrimoine de l’Unesco en 2005.

Le Havre regorge d’autres trésors. L’église Saint-Joseph de Perret (ci-dessous), un vertige esthétique et spirituel, l’espace culturel poétique de Niemeyer, le lumineux musée d’art moderne…, et plus contemporains, Les Bains des docks de Nouvel, sont parmi les plus connus. Il y en a tant d’autres, nés au fil du temps, qui confirment a réputation du Havre en tant que «Ville d’architectes».

Lottie Brickert

Visite de l’appartement témoin de Perret : Maison du patrimoine, 181 rue de Paris – 76600 Le Havre. Réservation sur https://www.lehavre.fr/annuaire/appartement-temoin-perret

Photos: ©Lottie Brickert
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4 réponses à Perret au Havre : l’esthétisme d’un visionnaire

  1. Raymond W. dit :

    Auguste Perret, ou comment ne pas être obsolète à 70 ans passés…
    « … Cet ensemble (de bâtiments) qui n’a pas été dégradé et est toujours habité… » : du développement durable avant l’heure et au bénéfice de tous : le monde rêvé des écolo-bobos a donc existé ?
    Merci Lottie pour cette visite !

  2. anne chantal dit :

    Bravo pour cette visite que j’ai déjà faite sur place et qui m’a passionnée; vous en parlez si bien ! et j’avais même dormi dans un petit hôtel réfugié dans ces immeubles « modernistes » et teinté 1950; l’hôtel « oscar » ? comme Niemeyer ? Son « Volcan » est spectaculaire ..

  3. Raymond W. dit :

    Au moins deux enseignements à retirer de cet article bien intéressant :
    – on n’est pas forcément obsolète à 70 ans passés (… « il (est) fait appel à Auguste Perret alors âgé de 71 ans »…)
    – les projets de développement durable n’ont pas attendu l’arrivée des écolo-bobos (… «  le chantier débouchera sur un ensemble de qualité,… qui n’a pas été dégradé et qui est toujours habité… »).

  4. Caroline Rives dit :

    On peut aussi visiter a curieuse Maison de l’Armateur, ou flâner le long de la magnifique plage de Sainte-Adresse, ou admirer les superbes Jardins suspendus…
    Le Havre est inépuisable.

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