Apollinaire avait en effet dit qu’il n’avait pas rencontré de toute sa vie un homme plus chanceux que Paul Guillaume. Comme le marchand d’art est celui qui fait en partie l’angle d’une exposition actuellement en cours à l’Orangerie (1), une biographie est opportunément sortie en même temps, rédigée par l’historienne d’art Sylphide de Daranyi. Apollinaire ne pouvait pas savoir que la chance finirait par tourner. Car celui qui portait son prénom en guise de patronyme devait mourir prématurément, à 42 ans, dans des circonstances discutées. En revanche, celui qui ne s’était pas trompé, ayant même la réputation de voir loin et juste, c’était le poète Max Jacob en prédisant à Paul Guillaume la notoriété et la fortune. Sylphide de Daranyi ne nous dit pas grand-chose de la jeunesse de celui qui devait se faire un nom fameux dans le monde de l’art. Parce que l’on n’en connaît pas grand-chose si ce n’est qu’il apparut en 1891 et qu’il salua pour de bon la compagnie en 1934. La biographie qui nous intéresse est fluide, renseignée mais surtout factuelle, soulignant trois rencontres-clés.
D’une part en 1911 alors que le jeune homme déjà bien mis, s’intéresse à l’art africain tout en s’employant dans un garage automobile, forcément chic, du côté de l’Étoile. Dont il a garni une vitrine de quelques statues, vite repérées par Guillaume Apollinaire, l’éternel passant. En 1911, ayant encore été peu publié, le poète est pourtant déjà quelqu’un et ne va cesser de prendre de l’ampleur au tournant de l’art moderne. Il dispose d’un flair et d’une prescience dans ce domaine que son inspiration va considérablement amplifier, surtout au bénéfice des autres. Et notamment celui de Paul Guillaume qui ne connaissait jusque-là que les marche-pieds des grandes automobiles. De bonne mise, élégant, portant des guêtres, il a de l’ambition. Comme il est intelligent, il sait surtout qu’il doit apprendre. On devine qu’il a probablement su flatter finement Apollinaire. Bon calcul car avec le carnet d’adresses de son mentor, étoffé par ses talents propres et son entregent, il va rapidement prospérer. Son instinct de marchand surtout, va l’intégrer au club étroit des collectionneurs.
Paul Guillaume va où vont ses intérêts et s’il faut rendre service dans ce but, il le fera. Quand plus tard Apollinaire lui demandera de trouver de la publicité pour sa revue Les Soirées de Paris, il dira oui, tout en négligeant la mission. Car il pense à autre chose et veut ouvrir sa première galerie. Il semble avoir tout compris, ce qui n’est pas faux et il est temps pour lui de prendre son indépendance. La guerre va s’en charger puisque Apollinaire va s’y engager avant de revenir sérieusement blessé. Paul Guillaume tirera partie de cette pause commerciale dans le monde l’art, singulièrement en faisant partie de ceux qui rachèteront pour pas cher la collection de l’Allemand Kahnweiler tombé en disgrâce à cause de sa nationalité. Mais quand Apollinaire revient, il y a comme un inversement du rapport de force. Sous couvert de fidélité, Paul Guillaume désormais, exploite son aîné, jusqu’à la vexation s’il le faut. Sylphide de Daranyi nous rappelle l’anecdote suivante: lors de son mariage en 1918, Apollinaire avait convié le marchand à partager le couvert des invités. Ce dernier déclina mais fit parvenir en cadeau un service de couverts… d’occasion. Une fois le poète décédé l’année-même de son mariage, Paul Guillaume aura beau jeu par la suite de rendre hommage à celui qui ne risquait plus de lui faire de l’ombre.
Trop sûr de lui, il finira par se fâcher avec le riche collectionneur américain Albert Barnes. Tout va pour le mieux dans un premier temps et même dans un second temps, jusqu’à ce qu’un jour le milliardaire constate avec stupeur que Paul Guillaume avait réécrit à sa guise un de ses textes. Car il aimait intervenir en ce sens, n’hésitant pas en son temps à exiger d’Apollinaire qu’il modifie une contribution. Toujours est-il que Albert Barnes, qui avait ouvert en grand la porte des États Unis au marchand, ne communiquera plus avec lui que par l’intermédiaire de son secrétariat. Cette biographie démontre que le succès avait quelque peu obéré la lucidité de Paul Guillaume du moins en ce qui concernait les limites à ne pas dépasser.
C’est sa femme Juliette, troisième personnage-clé, qui va précipiter son destin. D’extraction modeste, elle a découvert avec lui, le luxe et ses plaisirs. Et, comme le raconte Sylphide de Daranyi, elle mettra beaucoup (trop) de temps à emmener à l’hôpital son mari qui souffrait d’une appendicite. Une fois Guillaume en terre, elle enchaînera avec son amant Jean Walter, lequel décédera également dans des circonstances ayant donné à jaser. Il reste que sous le marteau des commissaires-priseurs ou aux cimaises des plus grands musées, lorsqu’il est mentionné qu’une œuvre provient de la collection Paul Guillaume, la distinction lui apporte un surcroît d’importance. Il n’avait pas que la bosse du commerce.
PHB
« Paul Guillaume, marchand d’art et collectionneur », Sylphide de Daranyi, Flammarion, 26 euros
(1) À propos de l’exposition à l’Orangerie
Grand merci pour ce « papier » rempli d’informations utiles à la compréhension de ce personnage qui a su nager dans des eaux plus ou moins troubles !
Merci de citer Max Jacob qui s’est rarement trompé sur le destin de son entourage tout en l’encourageant.
Cette biographie sur Paul Guillaume écrite par une historienne , aurait pu effectivement approfondir ses débuts dans le courtage sous l’aile protectrice d’Apollinaire et Jacob, durant la grande guerre…
Dommage !
Bravo pour vos articles qui ne sont pas convenus !
Nicole