Le fait est qu’une carie linguistique, tenace, gâte la dentition de nombreux éditorialistes et personnalités politiques. C’est le « retour en arrière », expression qui colle parfaitement avec la définition du pléonasme comme « au jour d’aujourd’hui ». Le temps étant élastique on peut, mais c’est plus rare, parler de retour en avant. Attention toutefois aux inspecteurs des oxymores, prompts à verbaliser les rigolos cherchant à jouer les intéressants. Dans une édition de 1806 des Fables de La Fontaine (ci-contre), le grand conteur et moralisateur s’était fait presque prendre. L’éditeur -libraire-imprimeur H.Barrou (au 5 rue des Mathurins) avait en effet adjoint un lexique en fin d’ouvrage afin d’y traduire les mots supposés compliqués. Comme dans le texte « La femme noyée », livre III, où La Fontaine fait dire à l’un des personnages: « Rebroussez plutôt en arrière ». Et dans l’appendice lexical il est mentionné qu’il s’agit d’un pléonasme et qu’il eût mieux valu dire: « Rebroussez chemin ». Dans la mesure où l’auteur a mis la bévue dans la bouche d’un protagoniste, il n’est pas si fautif que cela. Si la fable doit coller à la réalité, il faut bien en effet, se soumettre au mal-parler du bon peuple.
Dans « Le sens de la fête » le film d’Olivier Nakache et Éric Toledano (2017), le personnage interprété par Vincent Macaigne passe son temps à rectifier le tir, pointant chaque répétition et chaque pléonasme dont le fameux « au jour d’aujourd’hui ». Le site de la langue française (.com) en recense 300. « Abolir complètement », « accalmie passagère », « démocratie populaire », « mirage trompeur » ou encore « obérer de dettes ». C’est le principe même du langage surveillé que ces ensembles justifient. Toutefois, comme l’erreur sort parfois sans crier gare de la bouche des plus forts, il est vivement recommandé de ne pas trop se moquer des autres dans ce domaine. Ce n’est pas La Fontaine qui nous contredira, vu qu’il savait tirer une morale de tout avec une recommandation assortie ou sous-entendue. Dans « Le rat et l’éléphant », ne disait-il pas d’ailleurs que « se croire un personnage important est fort commun en France ».
Surtout si on leur fait croire qu’ils sont importants, tels certains invités des plateaux de télévision à qui l’on pose des questions extravagantes allant des dangers du Covid jusqu’à l’usage tactique ou stratégique de l’arme atomique. Les experts en tout y formulent des réponses avec beaucoup d’aplomb, des analyses ciselées avec des minauderies de fin gourmet et sans compter des quotients finement assaisonnés de probabilités climatiques au carré. Chaque oracle est en outre garni, comme sur les meilleures pâtisseries, de « faut qu’on » à la nougatine et de « y’a qu’à » sous forme de fruits confits. Ces deux formules étant à même de résoudre théoriquement toute espèce d’équation.
Au 17e siècle il n’y avait certes pas ces émissions dites « talk » animées par les professionnels de la profession, mais des travers humains comparables existaient pourtant, comme le pointe incidemment la fable de La Fontaine sur le « Conseil tenu par les rats », dans le livre deuxième. Et où il est question d’un chat nommé Rodilardus qui terrifiait les rats alentour, les confondant avec autant d’unités de burgers-cheese mobiles. Si bien qu’en réunion, le doyen des rats, « personne fort prudente » suggéra d’aller accrocher (via le yaka de service) un grelot au cou du chat et « qu’ainsi quand il iroit en guerre, de sa marche avertis », les rats pourraient s’enfuir sous terre. Sur le moyen « risqué » de fixer le grelot, les échanges furent largement ouverts, mais comme lors d’une assemblée de moines écrit La Fontaine, les délibérations n’enclenchent pas forcément l’exécution. La conclusion du grand homme fuse alors en ces termes: « La cour en conseillers foisonne » mais s’il faut passer à l’acte « l’on ne rencontre plus personne ».
La comparaison avec ce qu’il est possible d’entendre en ce moment à propos des conflits qui ensanglantent le monde, des questions économiques où il « n’y qu’à » taxer ceci ou cela, la comparaison disions-nous, n’est absolument pas fortuite. Les perles fusent sans interruption dans maintes directions avec des « panacées universelles », des « vous oubliez un petit détail », jusqu’à la provocation ultime consistant à dénoncer un « pléonasme redondant ».
S’il faut à tout prix se « concerter mutuellement » dans un « dialogue à plusieurs », soyons au moins « solidaires les uns des autres », fonçons dans le pléonasme débridé sans nous encombrer de précautions qui feraient « d’un tri sélectif », un sujet de grosse fatigue intellectuelle. Et songeons aux écrevisses, comme La Fontaine dans son livre XII, lesquelles fonctionnant à reculons, font de ces crustacés, des références quasi-sacrées du « retour en arrière ».
PHB
Bravo ! Bien visé !
De la force de l’habitude : le « tri sélectif » m’avait complètement échappé…
Merci pour cette éclairante revue odontologique 😉 !
Succulent, comme d’habitude! Nous parlons la plupart du temps avec des automatismes, sans entendre ni écouter ce que nous disons, aux quatre coins de l’hexagone…
Une chronique dont je me suis régalée !
A mettre sous le nez d’étudiants, ce à quoi je vais m’employer.
Merci !