Au 16 de la rue Charles VII, à Nogent-sur-Marne, dans une élégante bâtisse un peu en retrait, se trouve un centre d’art contemporain apprécié des Nogentais et de quelques initiés, mais plutôt méconnu du grand public : la MABA (Maison d’Art Bernard Anthonioz). À raison de trois expositions thématiques par an, tels des rendez-vous épousant le fil des saisons, la MABA met à l’honneur les artistes contemporains. Monographies et expositions collectives sont, tour à tour, dédiées au design graphique -fait suffisamment rare pour être souligné-, à l’image, sous toutes ses formes, et à un thème d’actualité. En ce début d’automne, nous pouvons donc contempler le travail (ci-contre) de la designer graphique Alice Gavin, 36 ans. Plus loin, au numéro 14, dans la majestueuse demeure mitoyenne du XVIIIe siècle transformée, en 1945, en maison de retraite, la Maison nationale des artistes propose concomitamment des expositions de ses résidents. Actuellement, c’est au tour de la tisserande Simone Prouvé, 92 ans, d’exposer ses tapisseries. Les deux lieux étant côte à côte (1), la visite d’une expo implique irrémédiablement d’aller faire un tour chez sa voisine. D’autant plus que l’ensemble donne sur un magnifique parc arboré de 10 hectares. La sortie culturelle prend alors d’agréables airs bucoliques…
En guise d’introduction à l’exposition d’Alice Gavin (2), des lettres et logos à la typographie dansante, fluide et nonchalante, sous forme de matériau-miroir, courent le long du mur d’entrée. Plus loin, sont exposés d’élégants éléments graphiques colorés, de différentes échelles, extraits de leur contexte éditorial. Ici ces réminiscences de collaborations éditoriales et de création d’objets de communication prennent une nouvelle forme artistique pour les besoins de l’exposition. Si présenter une œuvre graphique sur des cimaises n’est sans doute pas chose aisée, un style se dégage d’emblée de l’ensemble, libre et fluide, délié et mouvant, presque aérien, inspiré, dirait-on, de motifs naturels ou floraux. Dans une autre salle, un chemin de fer géant (ndlr, terme utilisé dans l’édition pour désigner un document rassemblant toutes les informations de construction d’un support complexe, tel un catalogue) recouvre le sol et les murs, fruit d’un travail éditorial réalisé lors d’une résidence en tant qu’artiste associée au Ballet national de Marseille. Car, au-delà d’être une designer graphique, Alice Gavin est aussi directrice artistique et directrice image, ce qui lui permet d’élaborer de nouveaux champs d’investigation.
Durant cette résidence à Marseille, elle a ainsi pu expérimenter différents modes de partage du patrimoine de cette institution, de sa fondation par Roland Petit en 1972 au travail de la compagnie actuelle. Une vidéo et quelques photos viennent illustrer ce travail de création dans la salle suivante. Mais le clou de l’exposition se trouve indéniablement à l’étage avec la présentation d’un spécimen typographique expérimental qu’Alice Gavin a créé en collaboration avec la designer d’objets Alexandra Gerber, à partir d’une de ses images, présentée en début d’exposition. Au bout d’un petit couloir orange vif, dans une pièce entièrement orange, un objet tout à fait extraordinaire s’offre à notre regard : une sorte de banc d’un beau laqué blanc, aux formes enchevêtrées, pouvant accueillir plusieurs personnes, malgré sa finesse. L’ensemble, d’une grande pureté, est du plus bel effet.
C’est dans un univers tout autre que nous pénétrons en franchissant le seuil de l’ancienne demeure de Jeanne Smith pour découvrir les lumineux et aériens tissages de Simone Prouvé. Dans le vaste couloir-véranda du rez-de-chaussée et un élégant salon XIXe donnant sur le parc, sont exposés neuf tissages à suspendre, ainsi qu’une petite sélection de photographies de l’artiste. Revêtements muraux, cloisons ou stores, les “panneaux” de Simone Prouvé, de composition abstraite, sont tissés essentiellement dans des teintes écrues, grises, beiges, vert olive, et réalisés dans une grande variété de fils comme le polyéthylène et l’aramide, l’inox ou encore la fibre de verre et carbone. Car l’artiste a la particularité de travailler avec des fils dits “non feu”, et s’enthousiasme en particulier pour les fils inox. Cette judicieuse combinaison donne des matières tout à fait uniques devenues la marque de fabrique de l’artiste. Pendant plus de 60 ans, Simone Prouvé a ainsi travaillé pour les plus grands architectes : Charlotte Perriand, Claude Parent, Christian de Portzamparc, Odile Decq… et, reconnaissance suprême, en 2021, le Centre Pompidou a acquis un ensemble de ses pièces pour ses collections. Le 5 mai dernier paraissait aussi la première monographie consacrée à l’artiste “Tisser la lumière” (Muriel Seidel, Selena Éditions). Une œuvre qu’il est grand temps de (re)découvrir…
Isabelle Fauvel
J’aime beaucoup le titre, « bol d’art », l’art de nous faire découvrir des lieux et artistes inédits et originaux… Un grand merci !