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Décidément Clint Eastwood n’a rien fait comme les autres, ni comme acteur, ni comme réalisateur, ni comme compositeur, ni comme citoyen. Si bien qu’il a fini par entrer dans la légende hollywoodienne et devenir un classique dans une catégorie n’appartenant qu’à lui seul. Comme il a débuté dans les années cinquante et continue de tourner à 93 ans, cela fait tout de même plus de soixante-dix ans d’activité devant et derrière la caméra, qui dit mieux ? Son dernier film, «Cry Macho», sorti en 2021, est toujours visible sur diverses plateformes (dont Apple tv), ainsi qu’en DVD. Né en 1930 et sans cesse balloté au gré des engagements paternels, il trouvera dans l’amour de sa mère pour le jazz un point d’ancrage et une passion durable. Ensuite il fera ses classes dans «Rawhide», série western de 217 épisodes (1959-1965), à l’instar de Steve McQueen, né la même année, dans «Au nom de la loi» (1958 à 1961). À trente-quatre ans, âge tardif dans ce métier, sa chance tourne avec la trilogie de Sergio Leone «Pour une poignée de dollars», «Et pour quelques dollars de plus», «Le bon, la brute et le truand» (1966). Ainsi impose-t-il à Leone qui a engagé cet inconnu parce qu’il montait bien à cheval son personnage mutique. En faire le moins possible, à l’instar de grands aînés tels Henry Fonda ou Robert Mitchum. Suivront de 1971 à 1988 les polars machos de Don Siegel mêlant paradoxalement brutalité, virilité et sens de la justice, brouillant son image.

Mais parallèlement, tranquillement, dans son fief de la région de Monterey Bay, une des plus belles régions de Californie longeant la côte accidentée à 150 kilomètres au sud de San Francisco, il crée sa propre société Malpaso Productions. Et dès 1971, tourne devant et derrière la caméra «Play Misty for me» («Un frisson dans la nuit») : beauté des paysages alentour, tumultueux ressac des vagues et amour du jazz, le film lui étant inspiré d’un air enregistré par le trio Erroll Garner dont il est tombé amoureux. Tout Eastwood est donc déjà là, dès ce premier film, et les quarante qui vont suivre, souvent adaptés de livres, vont décliner les multiples aspects de ses passions, en particulier les westerns «Pale rider» en 1985 et «Impitoyable» en 1993 (couvert d’oscars), «Midnight In the Garden of Good and Evil» en 1997 capturant l’esprit même du Sud à Savannah, Georgia, ou encore la formidable adaptation du roman bostonien de Denis Lahane «Mystic river», sorti en 2004 (meilleur réalisateur entre autres).  Il y aura aussi de tendres comédies comme «Doux, Dur et Dingue» (1978) où son partner est un singe, ou un «Bronco Bill » de 1980 en circus man imprégné de folk (non produit par Malpaso), et la grande histoire d’amour « Sur la route de Madison » en 1995. Un peu tous les genres, mais toujours cette sobriété inaltérable, même quand il sourit, et cette élégance détachée due à sa haute silhouette atteignant un mètre quatre-vingt-treize.

Pourtant le mystère reste entier : comment est-il passé derrière la caméra, lui l’acteur autodidacte archicélèbre? Comment a-t-il appris? Simplement en observant le Sergio Leone de la trilogie? En discutant avec le moindre technicien, comme il en a la réputation? Mutisme oblige, il n’en a jamais rien dit, se contentant de tourner, tourner. La seule chose que l’on sait est qu’il a constitué autour de lui une équipe fidèle depuis des décennies, et que les tournages -chose rarissime- se passent dans l’harmonie la plus complète.
Et puisque Clint est toujours physiquement capable de tourner et de faire l’acteur, pourquoi ne le ferait-il pas ? Jus de fruits, légumes à la vapeur, et golf, golf, golf, constituent son ordinaire.

«The Mule» et «Cry Macho», ses deux derniers films, se déroulent aux aussi à son rythme, tels de lents westerns devenus des road movies, où un homme de quelque quatre-vingts ans parcourt au volant de son camion les grands espaces du Texas à l’Illinois pour le premier, et se rend au Mexique aller-retour dans le second, tourné sur les terres arides du Nouveau-Mexique. Peut-on leur reprocher un manque de tension, même si des scènes dramatiques ne manquent pas? Le vrai propos est tout autre, et plus accentué encore dans «Cry Macho», puisqu’ un vieux cow-boy se rend à Mexico pour ramener au Texas le jeune fils de l’ami auquel il ne peut rien refuser. Mais le jeunot de douze, treize ans, vit dans la rue des combats de son coq Macho, et ne veut entendre parler ni de son père ni de sa mère.
Leur périple pour rejoindre le Texas se transformera en rédemption mutuelle, et comment ne pas y voir à la fois une œuvre de transmission et un lent apprentissage de la mort, doté de toute l’élégance eastwoodienne?

Lise Bloch-Morhange

 

«Cry Macho» (2021), Clint Eastwood, DVD et Blu-Ray
«Eastwood Symphonic» (2023), album de Kyle Eastwood dédié aux musiques des films de son père, 1 CD

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6 réponses à Hors catégorie

  1. catherine Chini Germain dit :

    Bonjour,
    Je vais mettre les pieds dans le plat, je n’aime pas du tout la personnalité de Clint Eastwood. Je respecte son œuvre en ne l’appréciant pas, son monde me parait complètement obsolète et je ne partage pas ses valeurs.
    Malgré le formidable talent de Lise de nous en convaincre, je n’irai pas voir ces films.
    Bien cordialement
    Catherine

  2. Alain S dit :

    Merci Lise B-M : vos analyses sont toujours pertinentes, merveilleusement écrites, et c’est un grand bonheur de vous lire.

    @ Catherine CG : puis-je amicalement vous suggérer de laisser tomber un moment votre prévention. Regardez « Grand Torino » ou le célèbre « sur la route de Madison »…et en particulier la dernière scène de ce film : c’est un modèle de force d’expression avec un strict minimum de moyens, dans le droit fil de ce que Lise nous raconte. Je vous en prie, faites le et vous aurez la même joie que celle qui nous habite quand on vient de lire un livre formidable, qui attendait patiemment dans notre bibliothèque depuis 35 ans !

  3. Jean Claude Straussman dit :

    Thank you Lise for the interesting and enlightening article regarding Clint Eastwood, legendary actor, director and film producer. I do have some issues with his strong conservative politics but can’t deny the great entertainment that he has provided for so many generations during his long career. Two of my Eastwood favorites are, ‘Letters from Iwo Jima’ and ‘Gran Torino’ which connects the irony of hatred, bigotry and human compassion. Again Lise, thank you.

    • Lise Bloch-Morhange dit :

      Indeed Jean-Claude,
      « Grand Torino » is a good exemple of Eastwood’s complexity and ambiguity. Just like you, and just like Catherine, I don’t like his conservative politics, but as an actor and a filmaker it is obvious that he is a master. It is also obvious that his films are in a unique category, and this is a real mystery as most of them are adapted from books..
      Thank you Jean-Claude for giving us your opinion as an American lover of US cinema…

      • Jean Claude Straussman dit :

        Merci beaucoup Lise for your quick reply. A few years ago I remember reading an article where you write of Film-Noir movies. Both the actors and the movies you wrote about where from movies that I had just viewed only a few days before on Turner Classic Movies. Can’t remember the characters (one might have been Bogart) but your writing and description of that era of Film-Noir was very informative and so appreciated.

  4. Krys dit :

    Merci et félicitations Lise pour ce brillant rappel biographique d’un grand du cinéma mondial.
    Clint Eastwood ou l’éloge de la lenteur ou comment tourner un western pendant shabbat ! Son principal talent me semble être le rythme lent et envoutant de la plupart de ses films?
    Quand à ses valeurs plutôt plutôt conservatrices, elles sont difficiles à partager…

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