Ici reposent des héros plus oubliés que d’autres

Les monuments sont impeccablement alignés. Une stricte égalité. Chacun est traité avec les mêmes égards que son voisin d’éternité. Officiers ou simples soldats, ils ont tous mérité le respect et la reconnaissance des générations qui les ont suivis. Les chiffres donnent le vertige. 40.000 Français tués lors de la première guerre mondiale reposent à Notre-Dame-de-Lorette dans le Pas-de-Calais. En face, «L’ Anneau de la mémoire» rend hommage à 600.000 combattants de toutes nationalités qui ont perdu la vie entre 1914 et 1918 (ci-contre). La liste semble interminable. 7.400 tombes à Montdidier. 10.500 à Étaples. 4.900 à Saint-Quentin. 16.400 à Douaumont … À côté de ces impressionnantes nécropoles qui constituent autant d’étapes des circuits de mémoire très fréquentés (principalement par les Britanniques) existent un certain nombre de cimetières militaires moins connus… et donc moins visités. Ils concernent des nations a priori éloignées du conflit, mais leurs représentants, volontaires ou non, se sont retrouvés dans la même tourmente. Ces héros oubliés ont versé aussi leur sang, comme les autres, pour que revienne la liberté dans un pays qui n‘était pas le leur.

À Richebourg, près de Béthune (Pas-de-Calais) se trouve le seul cimetière militaire portugais de France. Plus de 1.800 combattants y reposent. En février 1917 un corps expéditionnaire portugais constitué de plus de 56.000 hommes peu préparés à la guerre avait débarqué à Brest et, après quelques semaines d’entraînement sous commandement britannique, avait rejoint le front. Les pertes avaient été très importantes, notamment lors de la Bataille de la Lys. La deuxième division que commandait le général Gomes da Costa (qui deviendra en 1929 un très éphémère président de la République) y avait perdu 7.300 hommes soit le tiers de ses effectifs. Le cimetière dont chaque stèle porte les armoiries du Portugal a été créé en 1928 et agrandi onze ans plus tard. Il est orné d’un imposant portail dont la construction a été réalisée par des ouvriers portugais avec des matériaux ramenés du pays. Face à la nécropole, une chapelle dédiée à Notre Dame de Fatima, très vénérée dans le monde lusophone, a été inaugurée en 1976 (1).

À une centaine de mètres, se trouve un important mémorial indien. On n’y verra pas de tombes puisque les soldats indiens tués au combat furent incinérés comme le prévoit leur religion. L’Inde avait envoyé pendant la guerre plus de 140.000 hommes sur le front ouest. Ces combattants provenaient des différents États du pays, représentant une grande diversité ethnique, religieuse et linguistique. 4.700 soldats ou travailleurs de l’armée indienne sont honorés ici dans cet élégant mausolée (ci-contre). Sur l’un des côtés de l’enceinte, deux lions veillent sur une colonne haute de 4,50 mètres surmontée d’un lotus impérial, de la couronne britannique et de l’étoile des Indes . En 2010, le mausolée a reçu la visite du prince de Galles, l’actuel roi d’Angleterre.

Il faudra faire une centaine de kilomètres en direction de la Baie de Somme pour découvrir le plus grand cimetière chinois d’Europe. À Noyelles-sur-Mer, reposent les corps de 842 travailleurs chinois directement victimes du conflit mondial, même s’ils ne sont pas morts au combat. Ces volontaires engagés dans le Chinese Labour Group avaient pour mission de seconder les soldats anglais en creusant les tranchées, en réparant les routes ou en construisant des voies de chemins de fer, en assurant des missions aussi périlleuses que le transport de munitions ou le déminage des territoires reconquis. Les conditions de vie proches de l’esclavage (dix heures de travail par jour, un seul jour de repos par an !) et la dangerosité des opérations expliquent que beaucoup de ces «coolies» perdirent la vie. Après l’armistice, d’autres ne se relevèrent pas de la grippe espagnole ou du choléra. Décidée dès 1920, la nécropole est depuis entretenue par la Commission des sépultures du Commonwealth, au même titre que les cimetières militaires britanniques.

La petite ville de Neuville Saint-Vaast, entre Arras et Béthune, abrite le seul cimetière militaire tchèque de France. Orné d’une croix de Bohême, il regroupe un peu plus de 200 tombes des combattants volontaires de la «compagnie Nazdar». Ces Tchèques parisiens appartenant à des associations socialistes ou nationalistes s’étaient enrôlés pour la durée de la guerre. La nécropole a été installée à l’endroit même où ces soldats subirent leur véritable baptême du feu, au lieu dit La Targette, en mai 1915. Seuls vingt pour cent des effectifs en sortirent indemnes. «Ils ont choisi de mourir pour la liberté» est gravé en tchèque et en français, en bas du monument.

De l’autre côté de la route on découvre le Monument aux volontaires polonais, érigé grâce aux dons des Polonais du Pas-de-Calais. Détruit en 1940 et reconstruit ensuite, on peut y lire la devise : «Za nasse wolnosc i wasza»/«Pour notre liberté et la vôtre».
Depuis un siècle, dans un pays ou dans un autre, dans l’un ou l’autre des cinq continents, cette devise n’a malheureusement pas cessé d’être d’actualité.

Gérard Goutierre

(1) Il est rare que Mars et Eros fassent bon ménage… Un panneau placé à la sortie du cimetière portugais (ci-contre) raconte le destin «glamour» d’un jeune combattant du Nord du Portugal. Ce serrurier de 22 ans, Joao Manuel Da Costa e Assunçao, avait rejoint le corps expéditionnaire de 1917. Les rares permissions lui permettaient d‘être accueilli dans des fermes de l’arrière. C’est à Ecquedecques dans les Flandres qu’il rencontra la jeune Mélanie,16 ans. Coup de foudre réciproque. Lorsque sonna l’armistice, Joao refusa de rentrer au pays natal avec ses compagnons de guerre, et décida de rejoindre le village de la jeune fille. Mais Mélanie était trop jeune pour le mariage… Joao attendra, trouvera un emploi de mineur et les deux amoureux pourront enfin s’unir le 17 septembre1920. Le couple aura quinze enfants.

 

Photos: Gérard Goutierre
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2 réponses à Ici reposent des héros plus oubliés que d’autres

  1. Curieuse affirmation de dire que les morts de la guerre de 14/18 « ont tous mérité le respect et la reconnaissance des générations qui les ont suivis ». Ils ne devraient nous inspirer que pitié et colère. Comme le disait très justement Anatole France : « On croit mourir pour la Patrie ; on meurt pour des industriels. »
    Et quid des « indigènes », « musulmans », « Nord-Africains », « Français musulmans », « troupes coloniales », ou encore « tirailleurs sénégalais » de l’empire français, ont-ils mérité de semblables nécropoles ainsi que notre respect et notre reconnaissance ? Nous devrions y réfléchir à l’heure ou au cœur de l’Europe fait rage depuis bientôt deux ans une guerre des tranchées d’un autre âge qui a déjà fait 500 000 morts. Auront-ils eux aussi mérité notre respect et notre reconnaissance jusqu’à la prochaine Der des Ders ?

  2. Jacques PAILLARD dit :

    Bien sûr que les morts de 14-18 méritent tout notre respect, la reconnaissance n’étant en réalité qu’une simple affaire de jugement historique a posteriori … si l’on met de côté la notion de « patrie ». Car c’est inimaginable ce que ces jeunes hommes ont pu endurer, et il me parait légitime comme l’a fait l’auteur de l’article, de saluer leur courage et leur abnégation. Habitant Arras depuis une trentaine d’années pour raisons professionnelles, j’ai pu découvrir rapidement en visitant l’ensemble des sites locaux de la Grande Guerre à quel point cette dernière fut démentielle. La région arrageoise était en 1917 un secteur anglo-saxon où ont eu lieu quelques faits d’armes célèbres à défaut éventuellement d’être maintenant considérés par certains comme « glorieux ». Je pense aux tunneliers néo-zélandais préparant souterrainement l’offensive d’Arras et aux soldats canadiens qui se firent massacrer par vagues successives pour prendre d’assaut la crête de Vimy surplombant la plaine de Lens. A ce propos, les Anglo-saxons n’ont pas, contrairement aux français, regroupé leurs tombes militaires, les morts étant généralement enterrés sur place. Ce qui frappe en effet dans le Pas de Calais, notamment dans le triangle Arras-Lens-Béthune, c’est le nombre impressionnant de petits cimetières militaires « anglais » disséminés dans la campagne à quelques kilomètres les uns des autres. Ce qui surprend encore c’est l’entretien remarquable de l’ensemble de ces cimetières (assuré je crois par la France) et le nombre de visiteurs britanniques qui chaque année en novembre, viennent déposer sur les tombes de petites croix de bois ornées en leur centre d’un coquelicot.
    Citation : C’est en France que se trouve le plus grand nombre de cimetières et monuments commémoratifs du Commonwealth. Presque 575 000 morts pour le Commonwealth pendant les deux guerres et 12 700 d’autres nationalités y sont répartis sur plus de 2 900 sites dédiés à leur mémoire. 218 000 d’entre eux n’ont pas de tombe connue et sont donc commémorés dans des mémoriaux. Le plus grand de ces lieux est le mémorial de Thiepval, sur la Somme, qui rassemble 72 000 noms. (source : Commonwealth War Graves Commission (CWGC)

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