La nouvelle traduction de «Hello, Plum ! Autobiographie en digressions» de Pelham Grenville Wodehouse, est certainement un événement pour tous les amateurs de l’un des plus grands humoristes anglais du XXème siècle. Il est mondialement connu comme le créateur de Jeeves, imperturbable et providentiel valet de chambre du jeune Bertie Wooster ayant l’art de se fourrer dans des situations impossibles. Jeeves est le Holmes ou le Poirot de l’absurde. Par exemple dans «Bonjour Jeeves», écrit en 1938, l’intrigue tourne autour du fait que Bertram Wooster ne veut pas que sa bonne tante Dalhia se retrouve privée de son exceptionnel cuisinier français Anatole. Ce qui entraîne Bertie sur les terres de l’oncle de la fiancée de son «crétin» de copain Gussie Fink-Nottle. Là il doit dérober un pot à lait en argent du 18e siècle, mais sur place les choses s’enchaînent et s’embrouillent de telle sorte que page 123, Jeeves sauve la situation et la vie de son maître grâce à une information ultra secrète recueillie auprès de son club de butlers, le «Junior Ganymède».
Comme le dit son maître, «Jeeves savait toujours ce qu’il fallait faire». Tout simplement. Et heureusement, car il faudra encore 127 pages incluant plusieurs autres de ses interventions miracles pour résoudre la disparition d’un petit carnet noir bourré de secrets malfaisants comme de celle d’un casque de policier, pour sauver deux mariages en danger dont celui d’un vicaire secrètement amoureux, et pour affronter deux brutes dont l’oncle en question, tous deux fort peu gentlemen farmer, sans oublier deux fiancées passionnées littéralement prêtes à tout.
Précisons que l’auteur ne cesse de souligner la bêtise, la méchanceté, la bizarrerie et l’inculture de ses personnages, Bertie inclus mais Jeeves excepté bien sûr, qui se délecte de Spinoza. Il y a de quoi s’interroger sur cette peinture délirante de la bonne société anglaise qui plaisait tant aux lecteurs du siècle dernier. Humour anglais, dira-t-on ? Plutôt «nonsense» et «high comedy» déclinés dans une quinzaine de «Jeeves» allant des années 1910 aux années 1970. Sans oublier un nombre considérable d’autres romans et de nouvelles, 16 pièces de théâtre et 250 chansons écrites pour 22 comédies musicales avec notamment Cole Porter et Ira Gershwin. Car Pelham Grenville Wodehouse deviendra citoyen US en 1955.
On se demande bien qu’attendre de l’autobiographie d’un personnage aussi farfelu, rédigée à 70 ans, en 1957, intitulé «Hello, Plum ! Autobiographie en digressions», autrement dit respectant son habitude de partir dans tous les sens. On se demande aussi s’il faut en croire la moindre ligne… autobiographique. Mais on apprendra incidemment que les siens l’appelaient bien «Plum !» dans son enfance. D’ailleurs l’auteur en convient d’emblée : «Il y a, en effet, trois conditions indispensables à l’autobiographie : l’auteur doit avoir eu un père excentrique, une jeunesse lamentable d’enfant incompris et avoir connu un véritable enfer au pensionnat». Mais lui n’ayant connu que la béatitude au cours de sa jeunesse, pas question de raconter ses jeunes années, et le voilà qui se lance dans une anecdote sur «ce que m’a raconté en 1904 un certain Petit Griffo, boxeur de son état, concernant sa rencontre avec Joe Gans, alors champion du monde des poids légers».
Ce qui suit est plus ou moins exact : son père n’ayant pu lui offrir Oxford, contrairement à son frère, il l’a casé dans une banque. Banque qu’il quitte en septembre, et dès la fin de l’année, s’est fait une place au Globe (chronique «Soit dit en passant»), puis bientôt chez Punch et au Strand Magazine (lieu des exploits de Sherlock Holmes). En réalité, la presse anglaise de l’époque étant étourdissante, le jeune Plum y fit des débuts humoristiques fracassants, qui lui permirent de filer droit à New York pour deux semaines. Puis retour aux USA en 1909, où le nouveau magazine Vanity Fair l’engage comme critique théâtral !
Et pourquoi ne pas devenir pour les Yankees et autres, le grand spécialiste de l’étrange faune qui peuplait «les grandes demeures d’Angleterre, avec leurs comtes et leurs majordomes, sans oublier leurs fils cadets», fréquentés dans sa jeunesse dans le Worcestershire puis le Shropshire ? Après une petite digression sur les comtes comparés aux voix de basse, voilà Wodehouse mis sur les rails de ses obsessions, avec un chapitre intitulé «L’adieu aux majordomes». «Guettez au passage l’anecdote du majordome hilare», nous prévient-il.
Ses obsessions sont nombreuses et variées, allant de Shakespeare aux coucous, des humoristes aux escargots : «Ce qu’a fait Shakespeare est très différent de ce que je fais moi, mais ça ne veut pas forcément dire que c’est moins bien. Il y a chez lui des passages auxquels j’aurais été très content d’accoler mon nom.» On voit à quel point il fait preuve de largeur d’esprit.
Lise Bloch-Morhange