Il y a peu de temps encore, elle présentait au Studio-Théâtre de la Comédie-Française “36 chandelles dans la maison de Molière”. Pour ceux qui n’auraient pas eu le bonheur d’assister au Singulis de Catherine Salviat, il est toujours possible de se plonger dans le livre dont a été tiré ce spectacle de souvenirs. Sous la forme d’une longue interview, répondant avec humour et acuité aux questions de son interlocuteur, la comédienne revient en huit courts chapitres sur ses 36 années passées au Français. Entre anecdotes et citations, elle évoque certains rôles, ses auteurs et metteurs en scène de prédilection, ses partenaires de théâtre et nous parle de cette chance qui semble ne l’avoir jamais quittée. “Méfiez-vous de vos rêves, ils se réalisent”, aime-t-elle à répéter. Et une autre de ses phrases préférées : “Confiance mais vigilance.” Sous ses airs sages et studieux, l’interprète du « Mystère de la charité » de Jeanne d’Arc montre un esprit espiègle et blagueur, toujours plein d’entrain. Ce petit livre très plaisant s’avère tout autant une leçon de théâtre que de vie.
Munie d’un élégant brigadier (bâton servant jadis à frapper les trois coups au théâtre, ndlr), Catherine Salviat ouvrait son Singulis en frappant non pas trois, mais six coups. Car si l’usage voulait autrefois que l’on frappe trois coups dans tous les théâtres de France -pour Dieu, le Roi et la Reine-, celui de la Comédie-Française était de frapper deux fois trois coups : trois pour les Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne et trois pour la Troupe de Molière. Or la vie de théâtre de Catherine Salviat s’inscrit indiscutablement dans cette Maison. Et si, depuis qu’elle a “laissé la place” à d’autres, comme elle dit élégamment, sa carrière se poursuit sous d’autres cieux, son statut de sociétaire honoraire lui permet de revenir de temps à autre jouer au Français, ce dont elle ne se prive pas dès que l’occasion se présente (1). Car, souligne-t-elle, “la Maison de Molière demeure Ma Maison; et ça, pour l’Eternité”.
Catherine Salviat, née en 1947, entre au Français comme pensionnaire en septembre 1969 après avoir obtenu un Premier prix de Comédie classique au Conservatoire, à l’époque où cet établissement est encore “l’école de la Comédie-Française”, les lauréats des concours de sortie étant régulièrement invités à rejoindre l’institution. Elle en devient, par la suite, la 461e sociétaire en janvier 1977, puis sociétaire honoraire en janvier 2006. Tout, en réalité, semblait réuni pour faire naître chez la jeune Catherine une vocation théâtrale. Une mère danseuse à l’Opéra de Paris, puis maîtresse de ballet dans la compagnie de Serge Lifar – emploi rarement dévolu à une femme dans ces années-là, précisons-le – et professeure de maintien au cours Raymond Girard où Catherine Salviat prendra ses premières leçons d’art dramatique pour “soigner sa timidité excessive”; un père comédien, metteur en scène et sociétaire honoraire de la Comédie-Française bien connu (2) ; sans oublier un “Bourgeois Gentilhomme” vu à l’âge de quatre ans dans la vénérable institution. Catherine Salviat est donc une enfant de la balle, comme sa sœur cadette, la comédienne Christine Murillo, qui a elle-même passé une dizaine d’années dans la Maison de Molière, en tant que pensionnaire, puis sociétaire.
Ainsi malgré une licence d’espagnol et de vagues envies de journalisme, le destin veillait. Et c’est toute une époque du Français qu’à ses débuts l’interprète de nombreuses ingénues et jeunes premières fait resurgir devant nous, évoquant des acteurs qui ont marqué à jamais l’histoire du théâtre : Maurice Escande, Louis Seigner, Jacques Charon, Robert Hirsch, Jean Piat, Micheline Boudet, Georges Descrières, Jean-Luc Boutté, Michel Duchaussoy… Mais aussi les metteurs en scène qui l’ont marquée, tel le grand Giorgio Strehler avec lequel elle a travaillé la fameuse “Trilogie de la Villégiature” de Carlo Goldoni, ou encore Zeffirelli qui, lorsqu’une scène s’avérait difficile, rassurait ses acteurs en disant: “Ne vous inquiétez pas, je monterai la musique et baisserai la lumière.”
Les citations émaillent ce livre de souvenirs, les auteurs se révélant un véritable compagnonnage pour cette passionnée de littérature. Mais aussi les conseils reçus, ainsi l’injonction de Françoise Seigner “Sois folle et molle” alors qu’elle la trouvait un peu tendue avant d’entrer en scène dans “Tartuffe”, ou celle d’Alexis Grüss alors qu’elle s’essayait à la voltige à cheval : “Ne dis jamais ça [je n’y arrive pas]. Jamais ; Fais-le. C’est tout. Fais-le jusqu’à ce que tu y arrives.” Et à travers des anecdotes à foison nous apparaît, contrairement aux apparences, une jeune femme souvent facétieuse. Ainsi, lors d’une tournée au Canada, alors qu’il était demandé à la Troupe de choisir des fables peu connues pour une soirée La Fontaine, Catherine Salviat avait-elle été félicitée pour avoir déniché une rareté, “Le Kangourou et l’épicière”. Inventée de toutes pièces, bien évidemment.
Isabelle Fauvel
encore charmée par le spectacle de CS vu la semaine dernière ; merci pour cette jolie analyse qui en renforce encore le souvenir ; j’ai croisé CS à la sortie et ai osé lui rapporter ce qui m’était revenu en mémoire : petites filles nous étions élèves, elle, sa petite sœur Christine et moi de l’École Normale de Musique boulevard Malesherbes ; nos professeurs nous demandaient de faire une petite génuflexion (révérence ?) devant Alfred Cortot (Directeur de ENM) lorsque nous le croisions dans les couloirs !
Rappelons que Robert Manuel, son père, a été victime des persécutions raciales de Vichy et rayé des cadres de la Comédie Française en 1942. Heureusement, il réussit à s’échapper du train qui le menait à la mort et redevint membre du Français à la Libération. Une Comédie-Française épurée, on s’en doute…