« Et tâchez de faire ressemblant ». La remarque est naturellement apocryphe mais on peut imaginer le commanditaire disant quelque chose d’approchant lorsqu’il réclama un retable au peintre Giovanni Bellini (1435-1516). En l’occurrence il s’agissait de faire le portrait de Dieu, l’époque ne donnant guère le choix entre les anges, la Vierge, le Christ ou les apôtres. Personne n’avait jamais vu le chef mais il était entendu qu’il avait quelques cheveux blancs et une barbe assortie. Le retable aujourd’hui dispersé était censé représenter le baptême du Christ. Il ne reste ici que cette image du Père présentée au musée Jacquemart-André dans le cadre d’une exposition toujours en cours. Or Bellini se trouvait au carrefour de deux tendances picturales dans le domaine divin. La moderne penchait pour un Éternel au milieu de nuées crépusculaires, la seconde se voulait plus sobre, plus byzantine, avec un Dieu à mi-corps. Finalement Bellini a choisi d’exécuter une synthèse, dont on peut voir un détail ci-dessus.
Avec « Giovanni Bellini, influences croisées » le musée du boulevard Haussmann nous offre (façon de parler) cet agréable vertige consistant à exposer à portée de main et de regard, une expression tangible d’une époque si lointaine. Sachant que le maître dont il est ici question est donc né voici plus de cinq siècles à Venise. Il est le fils de Jacopo Bellini, également peintre ce qui peut fixer un destin, sans compter Gentile l’un de ses frères qui tâtera aussi du pinceau et qu’enfin Nicolosia, sa sœur, épousera Andrea Mantegna, (1431-1506 ) artiste bien connu de la Première Renaissance. En ce sens le titre de l’exposition désigne bien ce qu’elle est puisque en ces lieux, Bellini partage les cimaises avec ses influenceurs: Gentile, son demi-frère, Mantegna, Antonello de Messine, van Eyck ou encore Memling. La scénographie ayant été bien élaborée, les visiteurs se trouvent eux-mêmes en interaction, aux justes confluences qui éclairaient cette période pour le moins fructueuse.
L’idée chrétienne s’installait alors dans toute l’Italie et si l’Église était aussi bienveillante avec les artistes c’était notamment parce que cela faisait venir le peuple au « bon » endroit. Meilleurs étaient les peintres, meilleure était la diffusion de la parole de Dieu. Il n’y avait qu’un seul thème mais la créativité favorisait de riches variations.
Ceux qui auront raison de faire le déplacement avant le 17 juillet ne manqueront pas de faire un arrêt devant le « Christ mort soutenu par deux anges ». Une sorte de perfection dans l’exécution, jointe à une grande douceur de l’ensemble, ne peut que débrider notre admiration, phénomène fort rare dans la vie courante. Cette œuvre de quatre-vingts centimètres de haut fait à juste titre l’affiche de l’exposition. Elle y est même l’objet d’un spectaculaire agrandissement sur l’affiche accrochée à l’entrée du musée, démontrant par l’extension que l’on est ici face à un chef-d’œuvre où sans conteste, la patte de l’auteur s’impose. Alors que sa Sainte-Justine en revanche, représente davantage le jeu d’influences et singulièrement celle de Mantegna dont Bellini sut tirer profit. Ce Mantegna dont par ailleurs il est possible que Bellini ait fait un portrait intimiste. Possible car celui que l’on peut voir au musée est légendé avec un point d’interrogation. Lequel, malgré tout, nous invite à y croire.
Ce sont pas moins de cinquante peintures qui nous donnent ici les clés d’une séquence du monde des arts où l’on se construisait les uns par rapport aux autres, en fonction des tendances. Bellini, à l’écoute de ses pairs, captant les bonnes idées, était de ceux-là.
La plupart des thèmes religieux sont présents y compris celui de l’annonciation qui permettait aux artistes de faire du surréalisme avant l’heure, de faire entrer de plain-pied le regardeur dans un univers pour le moins fantastique. On nous montre ici la version de Gentile (détail ci-contre). Comme pour les réalisations respectives sur le sujet de Fra Angelico en 1430 ou de Piero Della Francesca en 1470, l’image qui fascine est en général celle de l’ange. Certes dans un autre genre, la version de Gentile montre à quel point plus que Dieu ou son fils, c’est d’abord l’ange que l’on attend, le messager psychologiquement plus abordable et à qui en plus, il est possible de faire porter une réponse, du type « je vais réfléchir » ou un vœu sortant si possible de l’ordinaire sinon c’est du gâchis. De surcroît l’ange ne vient pas pour nous juger ce qui explique nos préjugés favorables à son égard. Et on remarquera au passage qu’il est par construction non-binaire, ce qui fait de lui une entité hautement moderne, politiquement correcte bien avant l’heure.
En tout cas pour en revenir à Giovanni Bellini, on comprend bien qu’il était un homme à l’écoute de son siècle. Et qu’il n’hésitait pas à prendre des leçons auprès de ses élèves comme Giorgione et Titien, le poussant à améliorer et affermir son style jusqu’au soir de sa vie.
PHB