Pour ce qui était de l’éloquence, l’élégance ou l’esprit, la tâche avait été confiée à Voltaire. Au sujet de la métaphysique et de la théologie, on comptait deux soutanes, l’abbé Yvon et l’abbé Morellet. Question goût il y avait Montesquieu. Et enfin, concernant l’histoire de la philosophie on pouvait compter sur le chef, Diderot en personne. Lequel donna son nom à la toute première encyclopédie française qui vit le jour en 1751. Une histoire épique, relativement bien connue, que racontait en l’occurrence une autre encyclopédie dans son édition de 1968: Universalis (ci-contre). Qui veut encore des encyclopédies? Même données à même le trottoir, elles trouvent difficilement preneur. Trente kilogrammes de connaissances que l’on peut retrouver dans un téléphone tenant dans la poche, cela peut effectivement faire réfléchir. Mais qui dira encore le plaisir d’en ouvrir un volume au hasard et de ressentir littéralement cette irradiation massive, concentrée, de tant d’expertises et de savoir. Il se trouve que cela fait environ cinq cents ans que le philosophe et humaniste Guillaume Budé (1467-1540 ), bien avant Diderot donc, donna la définition d’une encyclopédie sans pourtant en écrire le nom.
Cette histoire est rappelée par le dictionnaire culturel de la langue française, Le Robert, dans son édition de 2006. Et avec ses quatre volumes, mentionnons au passage qu’elle approchait le concept encyclopédique. Lequel terme viendrait du grec enkuklios, désignant l’état circulaire, ce qui entoure. Vu qu’en matière de choses savantes il faut sans cesse remettre son métier sur l’établi, on pourrait du reste parler de cercles concentriques, s’élargissant sans fin. Le catalogue des sciences et des matières acquises ne cesse en effet de gonfler soit par des mises à jour soit par des découvertes. Dans une phrase très longue préfigurant la nécessité de rassembler et d’imprimer l’essentiel de ce qu’il y avait à connaître, Guillaume Budé vers 1519, évoquait donc l’infini de ce qu’il y avait à comprendre, postulant dans un français ancien que les sciences s’entretenaient « comme font les parties d’un cercle qui n’a ni commencement ni fin« . Budé n’avait on l’a dit, pas prononcé le terme. Mais Rabelais l’avait fait trois ans auparavant et « d’une façon désinvolte », dans « Pantagruel » son premier roman. Francisé par François, ce mot était une apparition dont on ne pouvait soupçonner le riche destin.
L’encyclopédie Universalis détaille comment son ancêtre estampillée Diderot était née d’une initiative prise en 1747, par un certain Le Breton, libraire parisien. S’étant fâché avec ses premiers interlocuteurs, il fit ensuite affaire avec l’abbé Gua de Malves qui abandonna le projet au bout de treize mois. Pour faire court, l’initiative fut alors confiée à Diderot qui dès 1750 via un prospectus, fit savoir qu’il comptait avec les contributeurs envisagés (ils seront cent soixante au total), produire pas moins de huit volumes. Tout sera compliqué au cours de cette aventure notamment à cause de l’incarcération de Diderot pour sa « Lettre sur les aveugles » parue en 1749 et, plus globalement, parce que cette entreprise des Lumières dérangera beaucoup. Sans doute parce qu’il est toujours plus simple de gouverner des ignorants. Mais le travail, inédit par son ampleur, ira bien jusqu’à bien son terme, soutenu par des milliers de souscripteurs. En fin de compte l’encyclopédie fera onze volumes (distribués sous le manteau), le dernier étant publié en 1769. Il y avait là de quoi « instruire l’honnête homme » selon l’objectif indiqué, de l’anatomie à la poésie en passant par la mécanique et jusqu’aux beaux-arts. Diderot a présenté son œuvre comme quelque chose « qui ne meurt point », c’est à dire qu’il faudrait penser à la refaire constamment. L’auteur de l’article dans l’encyclopédie Universalis de 1968 a écrit par ailleurs une intéressante conclusion au vu de l’époque, selon laquelle il était possible « de se demander si les calculateurs électroniques n’utiliseraient pas bientôt les encyclopédies pour en faire, selon un rêve de Leibniz (1646-1716 ndlr), du matériel d’invention par l’art combinatoire ».
Diderot, voulant cultiver les sciences et ordonner la diffusion des savoirs, « afin que plus d’hommes soient éclairés et que chacun participe, selon sa portée, à la lumière de son siècle », n’avait pas on l’a remarqué, mégoté sur les factures d’imprimerie, l’idée générale n’étant pas d’être bref. Au moins les souscripteurs en avaient-ils eu pour leur argent et on ne compte pas les bienheureux qui aujourd’hui encore, s’abstraient du chaos extérieur pour prendre un bain tout moussant de connaissances variées.
On notera avec un amusement possible que la maison du Livre de poche continue bravement de produire une encyclopédie de l’art en un seul volume, estampillée de l’enseigne italienne Garzanti. Mille trois cent trente-six pages quand même et un virgule deux kilogrammes, cette encyclopédie fort bien faite par ailleurs, a de quoi déformer le veston jusqu’au grotesque et faire gîter « l’honnête homme » descendant le boulevard Saint-Michel. À moins qu’il ne compense la perte d’équilibre ainsi induite en garnissant l’autre poche d’un poids équivalent. Comme quoi la gestion du lest n’est pas réservée qu’aux seuls aérostiers.
PHB