Comment ne pas aimer Brahms lors du concert de samedi dernier 12 mai à 16 h à la salle Cortot ? Comment ne pas l’aimer dans cette salle Art déco à la fois intimiste et verticale de 400 places, toute de courbes et bois blond doré, pleine à craquer cette après-midi là ? Comment ne pas l’aimer de nous faire passer un moment hors du temps, comme sa grande musique chambriste nous en offre ? Comment ne pas l’aimer alors que l’Orchestre de chambre de Paris (OCP) avait choisi en vedettes deux pointures du violoncelle et du violon, les Tetzlaff, la sœur Tanja et le frère Christian, silhouette familière des scènes musicales avec sa queue de cheval ? Comment ne pas l’aimer sous l’archet de ces deux musiciens allemands exceptionnels ? Le duo ayant fondé le Quatuor Tetzlaff dès 1994, lui s’attachant à révéler des chefs-d’œuvre oubliés dans toute l’Europe et jusqu’à Séoul cette saison, elle sillonnant l’Allemagne, tout juste revenus d’une tournée à deux aux États-Unis.
Comment ne pas l’aimer lorsque le duo parrainait, lors du premier morceau, une flopée de jeunes solistes de l’OCP, dont Deborah Nemtanu, violon super soliste de l’OCP, l’Américaine Jossalyn Jensen alto solo de l’orchestre depuis 2019, le violoncelle solo Benoît Grenet, mais aussi Clémence de Forceville, grande violoniste beethovénienne ?
Comment ne pas aimer le Sextuor à cordes numéro 2 en sol majeur de Brahms interprété dans un climat d’écoute mutuelle nous faisant penser que tous, à cet instant, étaient les musiciens les plus heureux du monde ?
Comment ne pas aimer Brahms qui faisait jaillir des cordes cette sonorité chaude, nous enveloppant à l’instant, s’échappant d’un violon de Domenico Mantegna datant de 1740 ou cet autre de Lorenzo Storioni datant de 1777 renvoyant de douces couleurs ambrées ?
Comment ne pas aimer ce deuxième Sextuor de Brahms créé à Zurich en 1866, qui dérouta la critique avant de trouver sa place, peut-être à cause de sa tonalité intense mais mélancolique dans les trois premiers mouvements ? Comment ne pas aimer la plainte du violoncelle, et ce Poco allegro, quatrième et dernier mouvement, brusquement chantant et vif, après tant de mélancolie ? Et ces regards entre interprètes, des aînés aux jeunes, dans un ballet constant de regards échangés, d’archets accordés, qui se lèvent, s’immobilisent puis reprennent en chœur à la seconde ? On se disait combien on aimerait comprendre comment se fait la transmission. Demande-t-elle de longues heures de répétition ? Ou au contraire une alchimie immédiate ? Comment ne pas aimer Brahms qui nous permettait de partager à Cortot, dans cette conque blonde, à deux pas de la scène, presque comme chez soi, ces quelque trente minutes échappées au tumulte du dehors ?
Et comment ne pas aimer le Quintette avec piano de Brahms qui venait ensuite, sans entracte, dans la foulée, formule de plus en plus prisée évitant de se déconcentrer ?
Exit les Tetzlaff, place à deux autres jeunes cordistes de l’OCP, Olivia Hughes et Claire Parruitte, tandis que reviennent Clémence de Forceville et le violoncelliste solo Benoît Grenet, rejoints par un pianiste autrichien de 28 ans, Aaron Pilsan, dont le récent enregistrement du Clavier bien tempéré de Bach a fait sensation. Dès l’attaque du piano, dès l’Allegro non troppo (pourtant vibrantissime), on reconnait ce tube brahmsien, aussi transcendant, brillant et tranchant que le précédent était mélancolique, les deux composés pourtant la même année, le second connaissant un succès immédiat.
Et comment ne pas aimer Brahms en retrouvant ces accents familiers et en découvrant ce constant dialogue entre le piano et les quatre cordes, et la fougue avec laquelle ces jeunes musiciens servaient cette œuvre chambriste majeure ? Enfin comment ne pas aimer la fougue de Brahms, magnifiée par le long piano et sa grande aile de laque noire miroitante reflétant les archets, se détachant sur le fond de bois blond et comme planant au-dessus de nos têtes ?
Lise Bloch-Morhange
Bravo!
Ah Francoise Sagan quelle liberté de ton pour l’époque . Je me souviens des critiques horrifiées des conservateurs.
Merci Lise pour ce bel hommage , il ne faut pas que l’on oublie le chemin qu’ elle a ouvert.
Oui, j’aime beaucoup Brahms surtout dans cette si belle salle Cortot à l’acoustique aussi exceptionnelle et avec des interprètes d’une telle qualité!
Bravo Lise pour cette anaphore qui s’imposait à l’écoute de ce très beau concert auquel j’ai eu la chance d’assister.
Très joli texte ! Merci Lise