On se souvient de Marthe, le personnage principal du roman de Radiguet “Le Diable au corps” (1923). Son mari parti au front, celle-ci, comme nombre de femmes de la petite bourgeoisie, rejoint le corps des infirmières bénévoles dans un hôpital improvisé au sein d’une école où elle rencontre le jeune François. On se souvient également de la princesse de Bormes dans “Thomas l’Imposteur” (1923) de Cocteau qui se fait ambulancière et héberge les soldats blessés dans son hôtel particulier reconverti en hôpital. La littérature et le cinéma regorgent de ces exemples de femmes, contraintes par les circonstances à revêtir la tenue d’infirmière sans y avoir été préparées. “Infirmières, héroïnes silencieuses de la Grande Guerre”, l’exposition en cours au Musée de la Grande Guerre de Meaux, s’intéresse à ces figures dans toute leur diversité : bénévoles ou salariées, religieuses ou laïques, qualifiées ou formées sur le terrain à la va-vite… Un hommage bien mérité pour ces héroïnes de l’ombre.
C’est sur des terres chargées d’histoire, le pays de Meaux ayant été le témoin direct des batailles de l’Ourcq et de la Marne en 1914, que le Musée de la Grande Guerre (1) a vu le jour il y a une douzaine d’années, faisant œuvre de mémoire pour les générations présentes et à venir. Depuis, les expositions thématiques se succèdent, en marge d’une impressionnante collection, éclairant à chaque fois un aspect de cette guerre si meurtrière qu’elle ne pouvait être que la “der des ders”. L’exposition consacrée aux infirmières nous explique comment la Première Guerre mondiale a été un tournant majeur pour la profession. “La plus haute expression du dévouement à la patrie est pour la femme le rôle d’infirmière. Votre place, mesdames, est dans les sociétés de secours où vous devriez toutes être enrôlées”, peut-on lire sur l’un des murs. Une prescription de 1910 attribuée à un certain Dr Berthier.
Même si les infirmières restent davantage reconnues pour leur dévouement que pour leurs compétences techniques, assimilées dans l’imaginaire collectif à la figure de l’“ange blanc”, le conflit établit néanmoins les premiers pas vers une véritable professionnalisation du métier d’infirmière, d’autant que cette période connaît des évolutions technologiques et thérapeutiques notables. Confrontée aux blessures profondes provoquées par cette guerre “moderne”, avec emploi de gaz toxiques et obus ravageurs -notamment les innombrables “gueules cassées” nécessitant une chirurgie réparatrice-, mais aussi à des maladies spécifiques telles que le typhus, la médecine se voit dans l’obligation d’évoluer et les tâches confiées aux infirmières de se complexifier. L’image d’Épinal véhiculée par la presse de l’époque de la femme dévouée qui lave, panse, assiste celui qui souffre et l’accompagne dans ses derniers instants s’avère, par conséquent, en-deçà de la réalité. Aux soins domestiques, relationnels et éducatifs (alimentation, hygiène du corps, lingerie, entretien des locaux, accueil des familles, aide pour l’écriture des lettres, lecture, promenade…) s’ajoutent des soins techniques nécessitant de réelles compétences médicales (injections, pansements, stérilisation, asepsie…).
La Première Guerre mondiale a vu 120.000 infirmières françaises œuvrer au secours des victimes dont nous découvrons ici les différentes catégories : les religieuses (surnommées “cornettes” en raison de leurs coiffes), formées ou non formées, issues de différentes congrégations (les Augustines, les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul…) et officiant dans les établissements hospitaliers ; les infirmières professionnelles, issues des classes modestes, formées dans des écoles et assurant les soins dans les hôpitaux publics ; et les infirmières de la Croix-Rouge, regroupant les trois sociétés que sont la Société de secours aux blessés militaires (SSBM), l’Association des dames françaises (ADF) et l’Union des femmes de France (UFF), issues des classes aisées, voire de l’aristocratie, et toutes bénévoles. À noter que représentant les deux tiers des infirmières engagées, ces dernières sont les plus visibles et que leurs effectifs progressent fortement pendant le conflit. À ces différents types de soignantes s’ajoutent les personnels administratifs, quêteuses, visiteuses aux blessés, lingères… Une quatrième catégorie voit le jour en mars 1916 : les infirmières militaires. Formées et expérimentées, elles sont rémunérées et forment un contingent de 5000 infirmières en 1918.
De très belles archives illustrent avec force détails le rôle des infirmières pendant la guerre: photographies, coupures de presse, uniformes, journaux intimes, correspondances, dessins (dont les deux séries de croquis réalisées par Olga Bing et Louise Ibels, “Gestes d’infirmières” et “Une journée à l’hôpital”) … Par ailleurs, à travers le portrait détaillé de huit d’entre elles, l’exposition sort ces icônes féminines de l’anonymat. Elles ont pour nom Sœur Julie, Edith Cavell ou encore Élisabeth de Belgique.
Isabelle Fauvel
Bonjour,
J’ai visité à deux reprises ce musée de la Grande Guerre,passionnant, en regrettant qu’aucune mention ne soit faite de Marie et Irène Curie, et de leur voirture de radiologie circulant au plus prés du front. J’espère qu’à l’occasion de cette exposition , ce regrettable oubli aura été réparé.