Pour une enquête biographique en bonne et due forme il allait falloir attendre quelques années supplémentaires. Il y aura un siècle en octobre que paraissait le premier ouvrage de référence sur Guillaume Apollinaire. Pas une biographie non, mais un livre trempé d’affection et même d’un peu de chagrin car la disparition du poète multitâche en 1918, était si l’on peut dire, encore fraîche. « Apollinaire vivant » ainsi était titré l’opuscule, ne commençait pas vraiment par un « né le ». Mais par ce paragraphe qui relevait sans aucun doute de l’amour fraternel: « Connaissais-tu Guillaume, ce restaurant de la rue Caulaincourt où c’est en ce moment la mode d’aller manger une bourride, un homard à l’américaine, une perdrix aux choux ou quelque autre plat de haut goût? ». Et de poursuivre en spéculant sur le nouveau destin de Guillaume humant quelque marmite céleste destinée aux banquets éternels. André Billy s’était rendu un jour au cimetière du Père Lachaise. Il avait pris le tramway jusqu’à la place Gambetta. Et avait ragé, sous une chaleur pénible, de ne trouver du premier coup la tombe de son ami. Ils s’étaient connus seulement 15 ans plus tôt.
Billy a vécu longtemps. Ce natif de Saint-Quentin dans l’Aisne a attendu le mois d’avril 1971 pour se faire inhumer au cimetière de Barbizon. Il était devenu une personnalité du monde des lettres et avait acquis une notoriété locale suffisante pour que, en octobre de la même année, fut inauguré un carrefour à son nom dans la forêt de Fontainebleau. Un secrétaire d’État avait fait le déplacement (Bernard Pons) ainsi qu’un membre de l’Académie Goncourt (Billy en était membre), Armand Lanoux.
Il avait sa place et son rond de serviette au Figaro Littéraire ce qui fait aussi qu’il eut un large hommage dans les pages du journal qui commençait par « Notre ami André Billy a été conduit dans sa dernière demeure hier, à Barbizon, à l’heure même où une fois par semaine nous entendions son pas lourd résonner à la rédaction du Figaro (1) et sa voix forte réclamer les épreuves de son dernier papier ».
« Apollinaire vivant » se lit facilement. Il contient à chaque ligne une émotion transmissible. On y apprend que les deux hommes s’étaient rencontrés en 1903 puis aussitôt perdus de vue. Billy comptait parmi les fidèles. Il était de ceux qui s’étaient battus pour sortir Apollinaire de prison quand une justice écervelée avait cru tenir un coupable au moment de la disparition de la Joconde. Il était là aussi pour tenter de recoller les morceaux entre Apollinaire et Marie Laurencin lors d’une fameuse expédition en Normandie du côté de Villequier. Il fit partie du complot visant à restaurer le moral du poète en créant rien que pour lui, une revue culturelle qui s’intitulerait Les Soirées de Paris. La première réunion eut lieu au Café de Flore sur la petite table juste à gauche en entrant. Et le titre de la revue ne semblait « pas près de périr » selon une lettre adressée à Billy et publiée dans le livre dont nous parlons aujourd’hui.
Ils étaient ensemble encore pour l’enregistrement d’un disque à la Sorbonne en compagnie de Paul Fort. Sur la face A fut gravé « Le Voyageur » et sur la B, « Le Pont Mirabeau », expérience dont on peut profiter sur le site de Gallica (2). Le premier fut choisi à la demande de André Billy qui écrivit dans son livre que « répétés par l’instrument, ces vers y gagnèrent un étrange attrait. Ils parurent venir de l’au-delà, de ce monde où Apollinaire se promène depuis le 9 novembre 1918, avec Moréas, Rémy de Gourmont, René Dupuy, André Dupont et quelques uns de ses meilleurs amis… en attendant les autres ».
Ce précieux livre que l’on trouve sans trop de difficultés dans les circuits de l’occasion, contenait outre une photo de Apollinaire en habit militaire, deux portraits charge de Picasso ce qui montre bien qu’une amitié existait aussi entre le peintre et Billy, bien que ce dernier n’épousait pas vraiment la mouvance cubiste. Par ailleurs il s’opposerait plus tard, à un pourtant fort beau projet de sculpture moderne devant orner le square Laurent Prache à Saint-Germain-des-Prés, en hommage à Apollinaire.
Pour l’occasion de ce micro-centenaire lié à la parution du livre, nous avons déniché sur Ebay une photo de Billy, présumée de 1950. Son verso prouve qu’elle était destinée à paraître dans un journal puisqu’il y est mentionné « 2 colonnes ». Le tirage en gros plan montre un visage plutôt épanoui, avec des sourcils en bataille sous des lunettes rondes. Un André Billy « vivant » en quelque sorte, ce qui est peut-être toujours le cas après tout, autour d’un bon plat de perdrix aux choux.
PHB