Le paradis en un clic

Le bonheur n’est plus dans le pré. Il est au bout du doigt. Un seul clic peut vous conduire aux portes du paradis. Peu importe que vous n’ayez rien sollicité et que l’envie ne vous ait même pas effleuré, un rêve inavoué a pris forme sur votre écran d’ordinateur géré par de mystérieux algorithmes. Le tour-operator vous connaît, il connaît vos désirs secrets. L’hydre de l’“All inclusive“ vous menace. Défilent alors sur l’écran autant de destinées paradisiaques que de descriptions mirifiques. Comme on ne peut se dédoubler et que, par ailleurs, il semblerait qu’on ne vive qu’une fois, le supplice du choix va commencer. Préférez-vous un «écrin confidentiel» ou une «luxueuse escapade» ? Une « parenthèse prestigieuse » ou une «divine idylle» ? Êtes-vous tenté par «un magnifique bijou oriental» ou par un «sublime palazzo florentin»? Voici un «cadre magnifique sur l’océan à l‘ile Maurice» et un «séjour inoubliable devant les eaux turquoise à Punta Cana». Vous pouvez encore vivre une «expérience magique et gastronomique à Valence» à moins d’opter pour une « immersion culturelle étoilée à Zanzibar ».

Toujours pas de frisson au bout du doigt ? Voici encore pour la bonne bouche, un «écrin intimiste mêlant à la perfection raffinement et légèreté, et s’étalant langoureusement le long d’une plage dorée». Mais bientôt apparaît sur l’écran un «cinq étoiles paradisiaque au pays des dieux». Un Allemand y serait «Glücklich wie Gott in Frankreich» (heureux comme Dieu en France).

Stop, stop, n’en jetez plus ! Du Bellay, au secours ! Rendez-moi «le clos de ma pauvre maison», laissez-moi le pays «qu’ont bâti mes aïeux»! Gardez votre mont Palatin et tout le tintouin…! Au vu de perspectives futures peu engageantes et après la mise en confinement de toute une population, les conditions sont réunies pour encourager les migrations saisonnières généralement héliotropiques. Les agences de voyage sont à l’affût. Le tourisme de luxe happy few n’est pas le seul enjeu. Les voyages organisés en car, en train, en bus, en avion, à cheval, en compagnie d’un âne ou d’un dromadaire, reprennent de plus belle. Bien situées dans une offre démultipliée, il y a encore ces croisières, à bord d’énormes forteresses flottantes pouvant accueillir plus de 6.000 passagers sans compter les 2.000 membres du personnel. Ces bateaux de plaisir qui déversent aux escales, pour quelques heures, des hordes de touristes semblables à des nuées d’étourneaux sont dans la légalité la plus totale.

À l’opposé de ces millions de voyageurs qui ne peuvent se déplacer qu’en groupes, une autre espèce aussi rare que discrète échappe aux règles de l’économie touristique. Ce sont les voyageurs solitaires. Mi baroudeurs, mi explorateurs, pour rien au monde ils n’accepteraient un circuit organisé, accompagné, minuté, programmé, répertorié. Leur solitude est la condition sine qua non de leurs déplacements souvent lointains. Ils n’achètent les guides que pour éviter d’aller dans les endroits recommandés. Beaucoup ont adopté la formule de l’écrivain voyageur suisse Nicolas Bouvier : «C’est quand on se trompe que le voyage commence». Le choix de leurs destinations est parfois surprenant. L’un de ces voyageurs atypiques avait décidé de visiter tous les pays dont le nom commençait par «i» . De l ‘Islande aux Indes en passant par l’Italie et Israël (voire l’Irak et l’Iran), les voyages l’occupèrent plusieurs années.

D’autres se comportent en véritables globe-trotters, entreprenant systématiquement, consciencieusement, d’aller au moins une fois dans chacun des pays de la planète. Ces pays étant au nombre officiel de 197 (chiffre variable selon les remous politiques), il refusent de retourner dans un pays déjà visité. Question de temps. À l’inverse des précédents, ils composent très minutieusement leurs prochains séjours, avouant que ces préparatifs constituent parfois le meilleur moment du voyage.

Enfin, il y a ceux dont on ne parle jamais et qui pourraient bien constituer une espèce en voie de disparition. Ils ne rêvent pas d’horizons lointains, regardent sans envie les descriptions d’endroits prétendument paradisiaques. Ces voyageurs de nulle part consacrent leurs jours de liberté à ferrer la truite à Entraygues-sur-Truyère ou à Saint-Ferréol-d’Auroure, à cueillir des mûres ou à ramasser des champignons dans des coins connus d’eux seuls, à repeindre leurs volets ou à faire des confitures pour l’hiver. Ils ne sont jamais allés à Saint-Jacques-de-Compostelle et se contentent de se promener en chantonnant sur de petits chemins de campagne qui sentent la bruyère.

Gérard Goutierre

Photo: ©Ph. Moncho
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4 réponses à Le paradis en un clic

  1. Il y a aussi celles et ceux – pas cités, oubliés ? – qui tentent désespérément de traverser la Méditerranée ou la Manche sur de vagues rafiots gonflables et laissent bien trop souvent la vie en ce dernier voyage.

    • alain BOUTRY dit :

      Ce sont probablement des groupies de « Mutti »Merkel qui ont envie de mettre en pratique la citation de Gérard : « Glücklich wie Gott in Frankreich »!

  2. Welschbillig Marc dit :

    « Le voyage est un moyen pour des gens qui seraient mieux chez eux, d’aller dans des endroits qui seraient mieux sans eux ». Finalement, je ne sache pas que cette définition souffre tellement d’exceptions.

  3. Martine Esquirou dit :

    Entraygues-sur-Truyère était le village exotique à atteindre depuis le Cantal, au bout d’une longue, longue descente vers le « Midi ». S’il y a encore des truites sous le pont, c’est une bonne nouvelle ! Encore faut-il que l’eau n’est pas trop baissée….A qqs kms de là, le paradis s’est installé chez M.Bras toujours le meilleur restaurateur de France !
    Merci Gerard de ce voyage immobile.

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