C’était le 21 février 2023. De bonne heure dans un café parisien, une femme commentait son horoscope, dans le bien nommé journal, Le Parisien. Sur un ton qui n’appartient qu’aux vieux habitants de l’île de France, elle raillait la prédiction du jour selon laquelle elle « supporterait mal les reproches » que son conjoint lui ferait. S’il y a bien une chose prévisible chez lui remarquait-elle en substance, c’est bien son « côté jamais content de moi ». De derrière ses lunettes rondes elle lut aussi qu’à la rubrique Réussite, il fallait qu’elle ne prenne pas mal « les remarques au travail » car susceptibles d’être « très constructives ». Décidément « c’est ma journée » semblaient exprimer les plis de son visage, lesquels s’accentuèrent encore en lisant au chapitre forme que son « stress » irait progressant. « À un jour près, souligna-t-elle amère, j’étais poissons avec une harmonie qui règne et une vie familiale sereine ». L’un des clients accoudés au bar déclara que lui était précisément du signe des poissons mais déclina d’un geste de la main la proposition d’offrir sa tournée.
Quand elle n’est pas occupée par une publicité, la dernière page du Parisien contient deux types d’informations, soit par ordre décroissant de fiabilité, la météo et l’horoscope de Alexandra Marty. Il est fascinant de constater comment la rubrique fonctionne toujours et que certains parmi les plus cartésiens ne peuvent s’empêcher d’y jeter un œil avec un rictus plus ou moins narquois au coin de la bouche.
Dans l’antiquité on dénommait augure un prêtre chargé de former des présages à partir de signaux comme les mouvements des nuages ou les comportements des oiseaux. Dans « Jean Santeuil », Marcel Proust décrivait son personnage lequel, « dans ce lieu véritablement sublime (…) examinait le vol des oiseaux (…) écoutant le vent, regardant le ciel, à la façon des anciens augures, non comme un présage de l’avenir, mais plutôt, à ce que j’ai compris, comme un ressouvenir du passé ». Écrit ainsi, l’idée devient plus belle, cependant que Caton (l’ancien), selon Cicéron, avait affirmé que « deux augures ne pouvaient se regarder sans rire ». Il est vrai que dans ce domaine, les moyens de rigoler sont inusables.
Il n’empêche que si un quelconque quidam en vient à se vanter de lire dans les astres ou dans le marc de café, même s’il énonce des probabilités maintes fois advenues à l’égard de tout un chacun et donc avec un haut niveau de probabilité, la combine démarre au quart de tour. Au point que si cette même personne repère dans le fond d’un expresso une « rentrée d’argent », la personne concernée lui demandera « combien » en tirant déjà et fort à propos des plans sur la comète. Un augure en tant que propos divinatoire est bon ou pas bon c’est selon et nous-mêmes, devins d’occasion, croyons pouvoir de temps à autre proférer des choses comme « c’est quand même de bon augure » après avoir flairé à proximité d’une cuisine, l’effluve d’une aubaine, ou aperçu en fin d’hiver la toute première hirondelle de retour du bled.
Dans la mesure où gouverner c’est prévoir, il est bien connu que des personnalités politiques de premier ou second plan n’ont pu s’empêcher au cours de leur carrière de consulter les astres ou les cartes. Dans les années quatre-vingts il y avait ainsi à Paris une dame qui leur soutirait jusqu’à 500 francs avant, fine guêpe, de leur susurrer des indices et prophéties qui trouveraient quoiqu’il arrivât leur place, dans le puzzle très souple de la réalité. Des inspecteurs des finances y allaient un peu comme on se rend au bordel et se refilaient le tuyau entre pairs, décidés à mettre toutes les chances de côté au bénéfice de leur carrière.
Comme il n’y pas que le boulot dans la vie, Le Parisien, à la toute fin de son horoscope, publie un micro « baromètre de l’amour ». Ce 21 février il ne concernait que les Gémeaux promis sans délai à « une décision cornélienne » et seuls les natifs de la Vierge se voyaient en ce début de semaine, accorder une journée de « sérénité ». Dans le bar dont nous parlions plus haut, celle qui venait de lire son horoscope eut un air suspicieux au vu de ces ultimes informations mais resta muette. Les autres clients étaient déjà passés aux pronostics du quinté à Vincennes et hésitaient crayon en main à rayer d’un trait de plume les plus tocards des canassons. L’efficacité des pronostics n’est en effet pas très éloignée de celle des astrologues mais il est entendu qu’il vaut mieux privilégier les favoris. Comme on l’a fait dire à Gabin dans « Le baron de l’écluse », il vaut mieux « être à plusieurs sur une bonne affaire que tout seul sur une mauvaise ».
L’ami de Guillaume Apollinaire, Max Jacob, ne donnait peut-être pas le tiercé du dimanche dans l’ordre mais osant prédire un jour au premier qu’il décèderait de bonne heure, l’histoire lui avait donné raison. Dans le cas contraire tout le monde aurait oublié l’augure. Sauf que Max se trompait rarement.
PHB
Auguri ! comme le disent classiquement nos amis italiens ; merci pour cette chronique légère qui plonge ses racines dans notre incertain, politique, en ce mardi 7, chiffre qui nous pousserait presque à faire une grille de loto, si les impôts nous laissaient de quoi.
Bonne Journée et
Vive Apollinaire
« Des inspecteurs des finances y allaient un peu comme on se rend au bordel… »
Cher Philippe, cette phrase est bien mystèrieuse. « Des », cela signifie que tous n’y allaient pas… Comme le corps stricto sensu compte 70 membres, que vous situez votre anecdote dans les années 1980, et que vous semblez bien connaître l’affaire, j’aimerai savoir si VGE, Jean-Pierre Jouyet ou Alain Minc, la crème de la crème de l’IGF , consultaient -comme Mitterrand à l’Elysée – des voyantes…
Autre question qu’implique cet « un peu ». Je ne me suis jamais « rendu au bordel ». Pqs du tout, d’autant plus que Marthe Richard est passée par là. Comment s’y rendait-on « un peu » ? Quelle partie du corps ne s’y rendait pas ?
Vive Les Soirées de Paris » où l’on pose les vraies questions vitales !
Max Jacob fut en effet très doué comme astrologue. Il a d’ailleurs écrit un livre….