Fille de Gervaise (1), Nana est l’héroïne du neuvième des vingt romans que comprend la série des Rougon-Macquart d’Émile Zola (1840-1902) auquel elle donne son nom. Le peintre Édouard Manet l’immortalisa simplement vêtue d’un corset et d’une chemise, se maquillant devant un miroir. D’aucuns, selon les générations, lui prêtent les traits de Catherine Hessling, Martine Carol ou Véronique Genest tant, par la suite, elle rencontra de succès sur le grand comme le petit écran (2). Et il y a fort à parier que, de nos jours encore, la lecture de “Nana” (1880) suscite chez les collégiens plus d’enthousiasme que celle de “Germinal”. Aujourd’hui, c’est sur la petite scène du Théâtre de Nesle que Catherine Sauval, 483e sociétaire de la Comédie-Française, nous conte les débuts retentissants et l’apogée de cette demi-mondaine au pouvoir de séduction ravageur. Un spectacle qui nous plonge avec délice dans la société décadente du Second Empire, avec ses courtisanes et ses noceurs, et où la plume naturaliste de Zola fait une fois de plus merveille !
Dans la petite salle voûtée aux belles pierres apparentes du Théâtre de Nesle, rideau rouge tiré de chaque côté de la scène, une chaise et un paravent pour tout décor. Et c’est seule en scène, telle une prestidigitatrice, que la comédienne va faire surgir devant nous une pléiade de savoureux personnages : le critique dramatique du Figaro Fauchery, son jeune cousin Hector de La Falaise, le directeur du Théâtre des Variétés Bordenave, le collégien George, le banquier Steiner, le comte Muffat ou encore le comédien Fontan. Et bien évidemment Nana.
Catherine Sauval, qui signe aussi l’adaptation du spectacle, a choisi de se cantonner à la première partie du roman, celle qui décrit l’ascension de Nana, la revanche que la jeune fille pauvre au bon cœur, née pour être “sage” comme elle dit, prend sur la société en devenant une demi-mondaine de grand luxe. “Elle restait seule debout au milieu de ses richesses, un peuple d’hommes étendu à ses pieds. (…) Son œuvre de ruine et de mort était faite. La mouche, envolée de l’ordure des faubourgs, apportant le ferment des pourritures sociales, avait empoisonné ces hommes, rien qu’à se poser sur eux. C’était bien, c’était juste, elle avait vengé son monde, les gueux et les abandonnés.” Et c’est la tête haute, victorieuse, que la narratrice-interprète quittera majestueusement le plateau.
Rappelons en quelques lignes l’intrigue de ces premiers chapitres : avril 1867, le tout-Paris se précipite aux Variétés voir la nouvelle recrue qui fait sensation. Nana, piètre comédienne de 18 ans et chanteuse tout aussi exécrable, s’y montre nue dans “La Blonde Vénus”, subjuguant à l’unanimité les mâles présents dans la salle. Le banquier Steiner se toque aussitôt d’elle et lui achète une maison de campagne. Mais c’est au charme du jeune collégien George que celle-ci succombe. Le comte Muffat, lui aussi transi d’amour, ne cesse de lui tourner autour. Elle le repousse mais, émerveillée à la vue du somptueux château d’une ancienne cocotte, désormais riche et respectée, elle se résout à lui céder. La vie de courtisane pourrait lui éviter la misère… De retour à Paris, entretenue par Muffat, elle cumule les amants. Cependant, suite à une dispute, elle le quitte, décidée à changer… Sa vie à deux avec l’acteur Fontan s’avérant un véritable fiasco, elle accepte de revenir au théâtre. Alors qu’on lui propose le rôle d’une cocotte dans “La petite Duchesse”, elle consent à se remettre avec Muffat à condition que celui-ci lui obtienne le rôle de la Duchesse. Muffat s’exécute et Nana, toujours aussi mauvaise comédienne, prendra néanmoins sa revanche en devenant une des femmes les plus en vue de la capitale.
À travers quelques moments-clés habilement choisis, alternant avec talent récit et dialogues, Catherine Sauval, vêtue de la même tenue neutre chemisier-jupe-escarpins d’un bout à l’autre du spectacle, assume le rôle de la narratrice et de tous les autres personnages, femmes et hommes. La comédienne utilise également toute la palette de son jeu pour porter haut et fort les différentes facettes du personnage de Nana, tour à tour gauche et lubrique, naïve et gouailleuse, hautaine et manipulatrice… Une mise en scène astucieuse permet d’évoquer avec infiniment de subtilité les différents lieux de l’histoire: une chaise et un mouvement d’épaules pour figurer les soubresauts d’une calèche, une petite peau de mouton et un projecteur au sol pour incarner la volupté d’un feu de cheminée… Saluons à ce propos la beauté et l’efficacité des lumières de Philippe Lagrue qui à elles seules dessinent l’espace et suggèrent les différents décors. Ce seule-en-scène littéraire est un véritable bonheur théâtral. Une grande comédienne pour un grand texte !
Isabelle Fauvel
Merci Isabelle de mettre en avant Catherine Sauval.
Il y a quelques années, elle a interprété un merveilleux spectacle sur Jules Renard qu’elle a joué au Théâtre de Poche et que j’ai revu un soir, dans le très joli théâtre d’Autun. Elle avait triomphé devant pléthore d’auteurs venus là pour un Salon du Livre…
J’avais vu une version de ce spectacle « Nana » avant le Covid au Théâtre de la Huchette (2018)
Une pure comédienne.