No Lorsque l’on a inhumé Éléonore Frick en 1925, le cimetière parisien des Batignolles était encore sur toute sa surface, un bel endroit pour les cérémonies de fin de parcours. En 1958, quand Louis de Gonzague Frick, grand ami de Guillaume Apollinaire, fut descendu sous terre, c’était toujours le cas. La sépulture de la famille More était en outre équipée sur sa stèle d’un récipient destiné à accueillir des fleurs. Mais dix ans plus tard, à la toute fin des années soixante, le boulevard périphérique a été construit pile au-dessus. La nuit est alors tombée sur la 22e division. Plus rien n’y pousse. Les tombes sont recouvertes de poussière et les voitures qui passent en haut font tant de bruit que l’on croirait avoir affaire à un passage de chars d’assaut. Coreligionnaire de Apollinaire au collège Saint-Charles de Monaco, on a dit que le poète Louis de Gonzague Frick était mort « dans l’oubli ». La construction du périphérique a de surcroît plongé sa dernière demeure dans une lumière tamisée où ne s’aventurent que des vieux chats.
Mais dans l’oubli pas tout à fait puisque dans son édition du 16 avril 1958, Le Monde (ce qui n’est pas rien) fit part de la disparition de l’écrivain. On y mentionnait que Louis de Gonzague Frick avait hérité de son père d’un journal boursier. Qu’il n’avait pas réussi à transformer en revue littéraire. Qu’il s’était intéressé au surréalisme et avait été le créateur de mouvements comme le Lunanisme ou le Druidisme. Les Soirées de Paris ont eu l’occasion de parler de cet homme lequel, selon un récit entretenu par lui-même et quelques autres, alla un temps, en grand habit et monocle, apporter une pomme à Apollinaire chaque matin afin qu’il entretînt sa santé. Gonzague Frick et Apollinaire avaient en commun deux mères de fort caractère qui partageaient le goût des casinos. Celle de Louis aimait bien rendre visite à Apollinaire dans son appartement du boulevard Saint-Germain mais la réciprocité n’était pas vraie. Ce qui fait que lui regardait par le judas lorsque l’on toquait à la porte, lui permettant ainsi d’éviter de laisser entrer les fâcheux en général et la maman de son amis Louis de Gonzague en particulier. Bien que poète lui-même et même acteur de cinéma dans « Zéro de conduite » et « L’Affaire Lafarge » (1), Louis de Gonzague Frick a conservé une réputation de bon copain qui lui faisait notamment écrire: « Là, ton nom resplendit trois fois/Je n’ai Guillaume qu’une foi/Et je l’ai mise toute en toi/Mon poète, mon astre-roi/ ».
Paul Verlaine (1844-1896) a eu plus de chance que l’ami Louis car la tombe familiale de l’auteur des « Poèmes saturniens »a été déménagée en 1989 en plein centre du cimetière des Batignolles. À l’origine en effet, l’emplacement du caveau des Verlaine avait eu ce même funeste destin en se voyant recouvert par le boulevard périphérique.
Inauguré en 1833, le cimetière des Batignolles est suffisamment large avec ses onze hectares pour néanmoins valoir une promenade, sans souffrir de l’ombre autoroutière. On n’y croise pas les touristes des cimetières parisiens plus fameux et il est étrange de s’y promener souvent seul ou presque. L’endroit est un peu isolé du côté de la Porte de Clichy, avec le totem réfléchissant du tribunal de Paris en perspective. Malgré les bouleversements immobiliers alentour, son unique entrée est restée désuète au point qu’on est presque surpris de ne pas y croiser une Panhard, une Simca Aronde ou une Frégate Renault. Et une fois à l’intérieur de l’enceinte, l’inévitable rumeur urbaine agit paradoxalement comme une protection acoustique.
Ses divisions sont bien ordonnées et comptent au moins deux autres connaissances d’Apollinaire. Dans la 7e on peut y trouver la tombe de Blaise Cendrars (1887-1961), mais elle est vide, ce n’est plus qu’un cénotaphe. Il a migré en 1994 vers Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines) là où il a vécu. La 31e division abrite également celle de André Breton, le bel écrivain et sourcilleux surréaliste. Sur sa tombe a été gravée avec à propos, « Je cherche l’or du temps ».
Mais le visiteur imprévu de ce dimanche cherchait surtout le « Frick » et l’ayant trouvé, dut constater qu’aucune formule définitive n’avait été gravée sur la pierre de la famille More. Comme ce mot à rallonge qui titrait et concluait son poème adressé au « Centurion Apollinaire » soit: « Phyllorhodomanciennement », allusion à une méthode de divination pratiquée dans l’antiquité par l’étude des pétales de roses. Il était donc bien chic ce Louis de Gonzague Frick avec son monocle et ses bonnes manières et sa façon singulière de cultiver l’amitié.
PHB
Je trouve savoureux que Cendrars qui aimait tellement « foutre le camp » (selon ses propres paroles) soit parvenu à continuer à voyager post mortem !
merci pour ce beau texte et pour l’hommage au(x) cimetière(s), lieux incomparables d’histoire(s) ici bien tracée(s)… sans parenthèse, une thèse en soi.