JHerta Oberheuser s’en est incroyablement bien tirée. Médecin au camp de concentration de Ravensbrück, ayant notamment participé à des expériences « médicales » sur des détenues, à l’origine du meurtre d’enfants en bonne santé, elle n’a pris que vingt ans lors de son procès à Nuremberg en 1947. Oui elle s’en est bien tirée car elle sera libérée au bout de quatre ans pour « bonne conduite » et ouvrira par la suite un cabinet de médecins. Le sidérant documentaire actuellement diffusé sur Arte à propos du rôle des femmes au sein du troisième Reich ne précise pas qu’elle sera un jour reconnue et révoquée. Non plus qu’elle fera appel de cette décision et qu’elle obtiendra gain de cause. Herta Oberheuser, reconnue coupable de crimes de guerre, a fini sa vie tranquillement dans une maison de retraite. Le film achevé en 2020, réalisé par Christiane Ratiney, avec la voix off de Céline Sallette, démontre comme il est dit dans les commentaires, le rôle « central », « pivot », de quelque 500.000 femmes au profit de l’idéologie nazie.
Le documentaire est assorti d’un avertissement aux personnes sensibles. Cette précaution n’est pas un luxe même pour les tempéraments aguerris. On voit tout d’abord comment des jeunes filles en quête d’idéal ou d’émancipation s’engagent dans la branche féminine des jeunesses hitlériennes, le Bund Deutscher Mädel (BDM). Ces embrigadements étaient bien utiles à Hitler lequel prônait par ailleurs l’inégalité hommes-femmes. Comme son programme eut rapidement besoin de toutes les forces vives disponibles, certaines purent accéder à des rôles suffisamment importants, au niveau des hommes, pour avoir le droit de vie ou de mort sur des humains jugés inopportuns.
En 1939, on pouvait filmer, photographier. Ce qui fait que ce documentaire aussi pénible qu’édifiant, est tout sauf une abstraction. Et dénonce bien en quoi toute idéologie porte en elle-même des gènes mortifères. Hitler avait ainsi décidé que les malades mentaux coûtaient trop cher et n’avaient pas de place dans la nouvelle société Allemande éprise de pureté. Et nous voilà saisis d’effroi en début de film, observer des infirmières habillées de blanc, conduire avec le sourire des personnes sélectionnées à l’asile vers ce qui était le vestibule des premières chambres à gaz. D’après ce que l’on sait elles mettaient vingt minutes à mourir et il en périra ainsi 200.000 sur simple directive du führer, car il n’existait pas en l’occurrence, de système d’élimination légal. C’était l’opération secrète T4, (Aktion 4), laquelle misait sur des mains féminines pour prodiguer à ces personnes sans défense une « mort miséricordieuse », selon les mots même de Hitler.
Sur les 92 minutes, le tout est à l’avenant avec heureusement quelques figures de femmes résistantes, allemandes enrôlées prenant conscience du drame qui se joue, ou prisonnières de nationalités variées. Elles ont consigné ce qu’elles avaient vu et même pris des photos, en douce. C’est au camp de Ravensbrück que l’on formait les gardiennes et il est intéressant de noter que certaines avaient refusé le job sans être inquiétées. C’était donc un vrai choix pour les autres, guidées par l’ambition ou la nécessité. Faire des cartons au fusil de précision sur des juifs lâchés comme des lapins pour amuser la galerie , arracher le fouet d’un gardien frappant une jeune détenue ayant volé des navets pour bien montrer qu’une femme pouvait frapper plus fort encore, abattre d’une balle dans la nuque un groupe d’enfants qui s’étaient échappés du camp, tout cela était aussi le fait de bras et de volontés féminins.
Bien loin donc de l’idée tendre, protectrice, maternelle que les sociétés humaines ont longtemps attribué aux femmes. Et ce sera d’ailleurs leur stratégie de défense à Nuremberg. Devant un tribunal et une assemblée essentiellement masculins, l’argument selon lequel elles n’avaient pas le choix et n’avaient fait qu’aider les hommes, portera ses fruits, pour certaines du moins. Et pourtant, on mesure ici à quel point elles ont parfois déployé un zèle étonnant dans l’extermination des juifs, à partir d’un simple poste de secrétaire administrative. C’est ainsi que la petite Anne Frank a été aiguillée vers la mort, par l’intermédiaire d’une dactylo implacable. Des écrits ou des correspondances de leurs mains criminelle ont subsisté, lesquels détaillent sans doute possible l’ivresse qu’elles avaient à exercer un pouvoir, allant impunément du châtiment à la mort.
Certaines allaient visiter le ghetto où étaient rassemblés les juifs. Comme si « elles allaient au zoo » commente Elissa Maïlander, une historienne interpellée à ce sujet. Et nous sommes stupéfaits par cette froideur, ce mépris ou cette indifférence à l’égard de ceux qui n’appartiennent pas à la bonne race. Quel mécanisme intime, quel esprit destructeur, s’interroge-t-on enfin, sont-ils à l’origine de cette capacité à exécuter autrui sans ciller, quel que soit d’ailleurs le sexe du bourreau? C’est l’un des mystères incomplètement résolu de ce film-documentaire autour des femmes criminelles sous le troisième Reich. Et que l’on n’a toujours pas fini de sonder au vu de l’actualité.
PHB
Tout est dit. Merci.
des réponses à la dernière question ont pu être apportées, en 1963, par Stanley Milgram, chercheur à l’université de Yale, dans une série d’expériences décisives publiées (en France) sous le titre « soumission à l’autorité » démontrant qu’à peu près n’importe qui peut devenir bourreau, sous certaines situations ou s’exerce la pression d’une autorité considérée par lui, comme légitime….
Pour compléter ce qu’a dit très bien Philippe, je veux signaler la sortie en salles le 15 mars de « A pas aveugles » de Christophe Cognet. On y retrouvera les photos des détenues qui se surnommaient entre elles les « lapins », parce qu’elles servaient d’expériences à ces médecins dégénéré(e)s.
Le film recense les photos prises par des détenus dans les camps, explique très bien comment ces quelques dizaines de clichés (fragiles, flous mais suscitant une terrible émotion) ont pu être pris à l’insu des bourreaux.
Le film renseigne énormément de choses sur les camps. Il montre aussi, de façon indiscutable, comment justement ces photos ont pu être prises au « péril de leur vie » »* par ceux qui avaient pu se procurer un appareil photo parmi les effets entassés à l’arrivée des déportés. On imagine comment les négationnistes pourraient s’en servir pour discréditer comme ils savent le faire ces témoignages…
* J’ai mis des guillemets car j’allais dire que dans ces lieux tout était péril et qu’au contraire avoir l’idée de filmer une exécution, un charnier ou montrer les plaies des femmes à qui on inoculait des maladies ou à qui on réduisait un membre était l’espoir qu’un jour ces crimes auraient à être jugés… On voit hélas avec l’exemple pris par Philippe que les criminel(les) s’en sont souvent bien tirées. S’il n’y avait pas eu ces preuves, peut-être auraient-ils (elles) été acquitté(e)s
un livre
Tal Bruttmann, Stephan Hördler, Christoph Kreutzmüller
Un album d’ Auschwitz : comment les nazis ont photographié leurs crimes
Ed. Seuil
Juste un petite bémol, je ne vois pas en quoi « toute idéologie porte en elle-même des gènes mortifères. » Prenons la non-violence, par exemple. Est-ce une idéologie qui porte en elle-même des gènes mortifères ? Le Pacifisme ? Et la liste est longue…
Et n’oublions pas que nous, les bonnes familles françaises de Mende en Lozère, emmenions nos enfants voir « comme au zoo » les femmes « indésirables » (juives, résistantes allemandes) parquées au camp de Rieucros depuis 1939.
Si l’idéologie nazie est sans conteste mortifère, je vois aussi dans ces comportements un problème humain qui ferait que le mal n’est pas seulement en l’autre…
J’ai vu le film. Laissez-moi croire que l’histoire ne se reproduit pas aujourd’hui à l’Est.
A côté de la ‘ banalité du mal ‘, sans doute une conscience dévoyée, biaisée, pas seulement obscurcie mais comme externalisée ?
» … il est intéressant de noter que certaines avaient refusé le job sans être inquiétées. C’était donc un vrai choix pour les autres, guidées par l’ambition ou la nécessité. »
Les mécanismes d’auto-justification ne sont pas seulement rationnels, ni même intellectuels ; c’est l’évaluation finale de la conscience qui est en jeu et donc en cause ici.
Les femmes marchent avec les hommes. Croire ou espérer le contraire c’est faire fi de l’Histoire de l’humanité
En entrant dans ma classe, des élèves de sixième d’un collège REP+ du 18è arrondissement se lançaient : « 14000 , non 16000, 18000 morts !!! », c’était à qui jouirait en paroles du plus grand nombre de morts du séisme en Turquie. L’effervescence cocotait la mort, comme au temps du covid. On invoquera le matraquage médiatique, la société du spectacle etc. Il y a, j’en suis de plus en plus convaincue, une jouissance primaire du mal que l’on fait comme ferment de pouvoir sur le monde. J’enfonce des portes ouvertes sans doute. Le terme d’ « idéologie » utilisé par Philippe Bonnet est pris en son sens de doctrine, de croyance ou de foi en un diktat de la pensée, d’une pensée omnisciente et « forcément » totalitaire. N’y aurait-il en chacun, jusque chez les plus éclairés, voire les plus pacifistes, un germe d’idéologie, une tentation en effet « dégénérée » d’extermination ? Tout discours, y compris celui que pratique E.M., toute rhétorique vidée de sens parce qu’elle patine sur de l’opinion magique car réversible et donc divine, jouit de son impact mortifère, de sa fabrication de la folie.