Ce bonheur-là n’a pas de nom. C’est celui qui accompagne la retrouvaille d’un objet perdu et ardemment recherché : trousseau de clés, carte de crédit, téléphone portable, papiers d’identité… bref l’un de ces objets que la vie en société a rendus indispensables et qui, pour une raison ou une autre avait insidieusement échappé à notre vigilance. Qui dira l’intensité de ce plaisir quasi miraculeux ? La sensation de délivrance est peut-être comparable à celle d’un apnéiste remontant à la surface. D’ailleurs, le retrouveur manifeste souvent son contentement par une longue respiration. Il n’y a sans doute pas de recette magique pour éviter les disparitions intempestives, mais il y a des formules de rattrapage. Cela fait plusieurs siècles que les catholiques ont chargé l’un de leurs saints patrons de les aider dans cette difficile entreprise de reconquête. Aussi connu que Saint-Christophe pour les voyageurs, ou sainte Rita pour les causes désespérées, Saint Antoine de Padoue se situe dans le peloton de tête des saints les plus souvent invoqués. La tradition remonterait au XVIIe siècle, lorsqu’il fut établi qu’en son temps (vers 1220) le bon Antoine aurait retrouvé des documents précieux qu’on venait de lui dérober, dans une grotte près de Brive-la-Gaillarde, où il avait fondé un monastère.
Pour mettre toutes les chances de son côté en cas de disparition d’un objet précieux, il est conseillé d’avoir recours à une prière respectueuse, un tantinet opportuniste, voire flagorneuse : «Saint-Antoine, glorieux servant de Dieu, célèbre pour tes mérites et puissants miracles, aide-nous à retrouver les choses perdues». Mais les bons paroissiens ne s’en laissent pas conter, et l’on trouvera plus fréquemment une formule qui ne s’embarrasse pas de précautions oratoires et va droit au but : « Saint-Antoine de Padoue, grand voleur, grand filou, rendez-nous ce qui n’est pas à vous ». Plus campagnarde est cette formule entendue en Picardie : «Saint-Antoine de Padoue, vous qui dénichez les petits trous, aidez-nous».
Les statistiques ne disent pas si les recours au moine franciscain sont couronnés de succès, mais la tradition perdure dans de nombreux pays. En dehors de ses capacités de « Géo Re-trouvetou », ce grand filou n’est cependant pas aussi connu que sa popularité pourrait le laisser supposer. Ne vous avisez pas de jouer au jeu du «Quelle est la couleur du cheval blanc d’Henri IV ?» en demandant où est né Saint-Antoine de Padoue. Il n’est pas né à Padoue, mais à Lisbonne, en 1195 sous le vrai nom de Fernando Martins de Bulhões. Entré dans les ordres dès l’âge de 15 ans, il devint un prédicateur réputé et fut envoyé à Padoue (république de Venise) en 1231. C’est dans cette ville qu’il mourut à l’âge de 36 ans. Le nombre de prodiges qu’on lui attribuait était tel que sa canonisation intervint moins d’un an plus tard. Plus fort que Francois d’Assise parlant aux oiseaux, Antoine de Padoue, surnommé «le saint aux miracles», fit notamment s’agenouiller une mule devant le saint-sacrement et parvint à prêcher devant des poissons qui l’écoutèrent bouche bée.
Antoine n’est pas seulement le spécialiste des objets perdus. Dans la plupart des pays hispaniques, il a longtemps été invoqué par les jeunes filles en mal de fiancé. Les sites de rencontres ont sans doute fait pas mal d’ombre à ses qualités d’entremetteur, mais il n’est pas rare que le 13 juin, son jour de fête (date fériée à Lisbonne sa ville natale) des vœux intimes soient déposés au pied de l’une des innombrables statues conservées dans les églises catholiques. Une représentation picturale du saint particulièrement spectaculaire, à la fois par ses dimensions et par ses qualités artistiques, se trouve dans l’immense cathédrale gothique de Séville. L’une des 44 chapelles est consacrée au saint portugais. Le grand peintre sévillan Esteban Murillo y réalisa en 1656 « La Vision de Saint-Antoine » (photo d’ouverture), le plus imposant tableau de toute son œuvre (plus de six mètres de haut). Mais même ce haut-lieu de la chrétienté n’est pas à l’abri des êtres malfaisants. Une nuit de novembre 1874, la toile fut découpée au couteau, le voleur repartant avec la partie représentant le saint en extase tendant ses bras à l’enfant Jésus. Cette disparition causa, on s’en doute, un grand émoi dans la capitale andalouse.
C’était sans compter sur les pouvoirs de Saint-Antoine. Moins de quatre mois plus tard, le tableau fut retrouvé par un antiquaire de New York à qui le voleur avait voulu le vendre.
Gérard Goutierre
Grand merci pour votre article plein d’élégant humour. Quand j’étais petite, ma mère que n’effrayait aucune superstition, m’avait appris à prier Saint-Antoine de Padoue. Eh bien je retrouvais ce que j’avais perdu. L’effet placebo du Saint est ainsi avéré.
Il est aussi notable de considérer comment, au XIIIe siècle, les « gens », certes pas tous mais non pas les plus riches, circulaient dans toute l’Europe et même au delà.
Et de même, de réaliser que des textes, variés et très nombreux, circulaient, l’imprimerie n’étant pas encore là.
Et la renommée de certains allait largement aussi vite qu’aujourd’hui, sans aucun moyen technique.
A 36 ans, Saint Antoine n’a pas eu le temps de prendre sa retraite ; mais rester dans les mémoires (les esprits et les cœurs) huit siècles plus tard, alors que, n’en doutons pas, de puissants esprits oubliés devaient occuper les universités et les cours dans un espoir de postérité, nous dit sans doute que ce qui nous importe, ce qui a pour nous de la valeur n’est pas perdu, que l’on retrouve toujours celui qui nous relie.