C’est la pièce la plus courte d’Alcools et sans doute de toute la poésie française. Sous le titre « Chantre », le poème ne possède qu’un seul vers, un alexandrin : « Et l’unique cordeau des trompettes marines ». L’ apparition soudaine de ce monostiche -puisqu’il faut l’appeler par son nom- après des poèmes d’une longueur “normale“, voire importante (300 vers pour La Chanson du Mal aimé) n’a pas manqué d’intriguer les lecteurs. Il constitue même une véritable aubaine pour les chercheurs, universitaires, critiques de tout poil, toujours soucieux d’apporter leurs contributions aux exégèses. Non seulement la brièveté du poème intrigue, mais le vers en lui-même reste mystérieux. Un professeur expérimenté parle de « bloc erratique » et de « vestige shakespearien » (B. Mirgain, dans un excellent blog) et encore d’un « vers-promontoire surgi de nulle part ». Mais la trompette (ci-contre) existe bel et bien.
Ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. L’ami André Rouveyre (que l’on voit en compagnie d’Apollinaire dans les fameuses images filmées de 1914) se laisse emporter par sa faconde imaginative, entraînant difficilement les lecteurs avec lui : « Un je ne sais quoi indiscernable s’ébranle, frémit, parcourt, vibre, éclate… Le poète regarde l’élément salé et l’éther au pullulement lumineux, exquis et redoutable, il découvre et reconnaît leurs perspectives… » On arrêtera ici le délire. Marie-Jeanne Durry, l’une des premières spécialistes d’Apollinaire, avait déjà vanté ce monostiche le qualifiant de « vers suggestif entre tous « , suscitant chez elle pas mal d’images maritimes : « une ligne de vaisseaux à l’ancre dans un port tandis que retentissent les sirènes » ou encore « un bord de mer, une côte tirée au cordeau tout au long de laquelle mugit une vague « .
Loin de nous l’idée de rajouter un commentaire aux commentaires. Mais la découverte à Paris, chez une musicologue, de cet étrange instrument totalement disparu depuis plusieurs siècles, ne pouvait nous laisser indifférent. D’abord, cette trompette-là n’a rien de marin. En plus, elle n’a rien d’une trompette. Pas de cuivre, mais une caisse de résonance en bois dont la forme rappelle vaguement celle d’une harpe. Une seule corde et un archet pour la faire vibrer. L’ensemble est de bonne taille, parfois même plus grande que le musicien. On imagine que le son qui en sortait était plus proche de celui de la corne de brume que celui d’un luth délicat. C’est sans doute avec un pointe d’ironie que Molière, dans Le Bourgeois gentilhomme, y fait allusion. À son maître de musique, qui l’initie aux beautés de la musique de chambre, monsieur Jourdain demande : “Il faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux “. Il faut croire qu’au XVIIe siècle l’instrument pâtissait déjà d’une bien méchante réputation.
Apollinaire, on le sait, était friand des choses rares, d’événements pittoresques, d’objets insolites. Mais comment avait-il eu connaissance de cet objet sonore tombé en désuétude ? Certains ont émis l’hypothèse qu’il l’avait découvert lors de son séjour en Allemagne (où, paraît-il, l’instrument avait été utilisé dans les couvents pour annoncer les repas). Il est possible aussi que le poète l’ait remarqué au détour de l’une de ses très nombreuses lectures. Et pourquoi pas en consultant le populaire Magasin pittoresque ? Publié régulièrement depuis 1833 (et jusque 1938) ce magazine donnait toutes sortes d’informations sur les sujets les plus divers, avec une préférence pour les coutumes et les objets des siècles passés. Dans son édition de 1884, on trouve un long article sur la trompette marine, décrite comme un instrument « antique et grotesque » ne pouvant guère charmer les oreilles, mais qui était répandu dans toute l’Europe. « Il avait notamment obtenu en 1674 un grand succès populaire dans une taverne de Londres « .
Mais ce serait trop simple. Une bonne connaissance de la trompette marine ne suffit pas à donner la clé du poème, ni le sens du titre. Dans des articles savants, une bonne quinzaine de chercheurs français, belges, nord américains, italiens, ont tenté de débusquer le sens caché du plus perturbant des poèmes d’Alcools. Ne serait-ce pas un excès d’honneur ? Après tout, puisqu’une seule corde permet d’avoir un instrument de musique, un seul vers pouvait bien suffire pour une poésie.
Gérard Goutierre
Une hirondelle n’a jamais fait le printemps !
Plutôt un pauvre vers orphelin, tout simplement.
Ce poème joue un rôle dans le beau roman de Dominique Paravel : Alice disparue.
– L’héroïne est en prépa pour Normale Sup, elle fait un malaise et s’effondre en plein exposé alors qu’elle commentait Chantre d’Apollinaire.
– Quarante ans plus tard lors d’une conférence sur la poésie, elle revit le malaise de ses vingt ans en écoutant une analyse du même poème d’Apollinaire qu’en 1975 !
Je n’ai plus le livre sous la main, mais je crois me souvenir d’une analyse du poème-énigme.
Bonne journée