L’exposition qui se tient actuellement à l’Institut du monde arabe, “Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d’or”, nous offre à voir des trésors qui n’avaient à ce jour jamais quitté l’Ouzbékistan. Nous voilà ainsi plongés dans le faste et l’éclat des cours des plus grands émirs du XIXème et du XXème siècles ! C’est une véritable caverne d’Ali Baba qui s’ouvre à nous : caftans d’or, de soie et de velours aux superbes coloris, apparat équestre d’une richesse exceptionnelle, vestiaire féminin aux couleurs chatoyantes, suzanis (1) et tapis de toute beauté, bijoux somptueux… Un véritable enchantement !
Situé aux confins de l’Europe et de l’Asie, au carrefour de plusieurs civilisations, l’Ouzbékistan, dont les villes légendaires ont pour noms Samarcande, Boukhara ou encore Khiva, hérite d’une histoire et d’une culture millénaires.
Ce lieu de convergence entre peuples des steppes, d’Inde, de Perse, de Chine et du monde arabo-musulman déploie une singularité artistique prestigieuse. Samarcande, c’est bien évidemment la route de la soie, cette ancienne route commerciale reliant la Chine à la Méditerranée, et la renommée des étoffes ouzbèques ainsi que l’extraordinaire savoir-faire de ses artisans ont franchi depuis bien longtemps les frontières. Quelques œuvres picturales viennent clore cette éblouissante présentation. Aux couleurs exceptionnelles des tissus viennent répondre des tableaux d’orientalistes de l’avant-garde russe qui avaient constitué une école ouzbèque dans les années 20. Une exposition d’une spectaculaire beauté !
Déployée sur deux étages, dans une pénombre très étudiée d’où les pièces surgissent dans tout l’éclat de leur or et de leurs couleurs, cette exposition s’avère une invitation au voyage tant dans l’espace que dans le temps. Car pour comprendre les splendides pièces liées à l’apparat du pouvoir, un peu d’histoire s’impose. Au XIXème siècle, et ce depuis le XVIème siècle, l’espace “özbek” est divisé en trois khanats (2) alors en rivalité : Boukhara, Khiva et Kokand. Chacun va alors déployer le grand jeu pour revaloriser économiquement son territoire, notamment en mettant en avant les savoir-faire artisanaux ancestraux liés à la production de textiles. L’émir de Boukhara (3) va distancer ses rivaux en relançant en grande quantité la production de la soie (plantations de mûriers en nombre) ainsi que la broderie d’or (construction d’ateliers, formation de maîtres artisans…). Boukhara va ainsi redevenir une des villes les plus riches de ce territoire, faisant de la broderie d’or (zardozi) un art de cour officiel. Car c’est seulement sur ordre de l’émir que les ateliers installés dans ses palais fabriquent ces somptueux chapans, autre nom donné aux caftans, ces longs et amples manteaux confectionnés sur une base en velours de soie et brodés d’or. Et c’est l’émir lui-même qui décide de la pièce, du textile et valide le motif. Chacune des pièces, unique par essence, a donc une vocation politique, diplomatique ou de cour (en signe de remerciement, par exemple). Des chapans brodés d’or sont ainsi offerts aux ambassadeurs et aux hauts gradés militaires qui pouvaient aller jusqu’à porter sept chapans superposés les uns sur les autres !
Les pièces montrées ici, si elles expriment la diversité et la beauté de l’œuvre artisanale, sont également extrêmement codifiées, porteuses de significations symboliques et indicatrices du statut social de ceux qui les revêtaient. Ainsi peut-on distinguer trois types de chapans en fonction de leurs compositions ornementales : un motif végétal entrelacé ininterrompu pour le style darkham (porté exclusivement par l’émir et ses proches) ; de larges fleurs éparses, des rosettes ou des amandes (symboles de protection et de longévité) pour le style buttador ; et une simple bordure à l’extrémité des manches, autour du cou et dans le bas du vêtement pour le style daukhor, le plus répandu.
Des calottes et des bottes, elles aussi brodées, viennent compléter ce somptueux vestiaire.
La broderie d’or était un artisanat masculin car on considérait que l’or pouvait être terni par les mains et le souffle des femmes. Tout comme il leur était interdit de manier l’or, il était donc aussi défendu aux femmes d’en porter de manière trop ostentatoire. Ainsi, la broderie d’or n’apparaît que sur les accessoires du vestiaire féminin (bandeaux de têtes, encolures, chapeaux, bottes…). Celles-ci se rattrapaient en quelque sorte par le port de somptueux bijoux, gages de protection et de bonheur, là aussi extrêmement codifiés puisqu’ils indiquaient leur âge et leurs statuts social et matrimonial.
Une partie de l’exposition consacrée à l’apparat équestre nous permet de constater qu’il en allait des chevaux comme des hommes et que les émirs de Boukhara harnachaient leurs montures aussi somptueusement qu’eux-mêmes : tapis de croupes en velours brodés d’or, selles en bois peintes, tapis de selle complétés par une panoplie luxueuse d’harnachements, véritables bijoux en argent sertis de turquoises, de cornalines et d’émaux.
Suzanis, dont deux courants principaux se distinguent, celui de Samarcande et celui de Boukhara, et tapis de toute beauté nous transportent avec ravissement dans la sphère intime. Là encore un monde de couleurs et de symboles. La dernière section de l’exposition nous présente, entre autres merveilles, des ikats (4) de différentes écoles ainsi qu’une sélection de peintures provenant de la deuxième plus grande collection d’avant-garde russe constituée par le collectionneur Igor Stavitsky qui, à elle seule, mériterait une exposition à part entière.
Isabelle Fauvel
En complément de cet article,il existe un livre passionnant de Peter Hopkirk sur la lutte incessante qui a opposé durant prés de 2 siècles les Empires Russe et Britannique pour le contrôle de ces régions y compris le Caucase,L’Iran et bien sur L’afghanistan :
« P Hopkirk Le Grand Jeu,officiers et espions en Asie centrale »
Merci, cher Monsieur, pour ce complément d’information. Bonne journée, Isabelle Fauvel
Merci pour cet article! Ayant découvert l’Ouzbékistan en 2015 je me réjouis de retrouver quelques unes des merveilles de ce pays trop méconnu en visitant l’exposition. Au XIXème siècle les rivalités étaient en effet grandes entre les différents khanas. A Khiva s’élève la silhouette imposante de Kalta Minor (le minaret court). Sa construction ordonnée en 1852 par le Khan Mohammed Amin devait s’élever à plus de 70 mètres de haut pour devenir le monument le plus élevé du monde musulman (surpassant ainsi celui de l’Emir de Boukhara). Mais sa vanité n’eut pas le temps de s’épanouir car le Khan mourut alors que le minaret n’avait atteint que 26 mètres de haut. Pourtant, même amputé le monument reste impressionnant par sa large base, par ses courbes lisses et surtout par les riches couleurs de ses mosaïques ou domine un magnifique vert jade profond!