En automne, les feuilles tombaient des arbres… et s’épanouissaient les Foires aux vins. L’idée naquit à la Scarmor, centrale d’achat historique du mouvement Leclerc. Son président, François-Paul Bordais, et deux membres, l’un de Saint-Pol-de-Léon, l’autre de Vannes, réalisaient un coup commercial inédit. En octobre 1973, un camion se place à la porte de leur entreprise respective, pour proposer en solde des bouteilles à peu près convenables et quelques belles étiquettes à prix cassé. La plupart des négociants contactés pour l’opération leur avaient opposé un refus dédaigneux. Ils n’avaient pas envie de compromettre leur image de marque dans ce genre de démarche mercantile. Mais deux d’entre eux s’y étaient risqué, à leur grand bénéfice. Il s’avérait possible de démocratiser la consommation de vins de qualité. La clientèle répondait présent. Il fallut toutefois, dans les premières opérations, éviter que certains restaurateurs viennent acheter en masse, à des prix serrés que leurs fournisseurs ne pratiquaient pas. Mais il y avait là un filon ne demandant qu’à être exploité. Dame, au moment des vendanges, il convient de faire du vide dans les chais, d’écouler les stocks encombrant les entrepôts.
Avec le temps, la braderie initiale est devenue la wine pride. Ce rituel saisonnier a fait florès. Les cavistes, les vendeurs en ligne, les grandes surfaces n’y manquent pas.
L’évènement est précédé d’un intense matraquage publicitaire, comme ces préparations d’artillerie préludant à l’assaut. Dès septembre, anticipant l’évènement, les hebdomadaires sortent un numéro spécial identifiant la sélection des différentes enseignes. Chacune a retenu son calendrier propre. Il faut bien que tout le monde mange. Les magazines spécialisés se font forts de dénicher les meilleures affaires, chez celui-ci comme chez celui-là. Puis arrivent les catalogues dans les boîtes aux lettres acceptant encore la publicité. On imagine aisément certains maniaques, épluchant toutes ces données, avec la méticulosité d’un doctorant peaufinant sa thèse, à la recherche des oiseaux rares et de l’emplacement de leur nid.
Le jour dit, les connaisseurs les plus affutés s’agglutinent devant les volets-roulants, bien avant l’heure de l’ouverture. Caddie et fiches techniques en pogne, ils vont rafler les articles d’appel, les rares très grands crus au rabais, soit un poilicule pour mille de l’ensemble du volume à vendre. Technique bien connue des professionnels de la vente, le drop branding consiste à mettre en avant une petite quantité d’un article convoité pour stimuler le désir du consommateur. Lequel, s’il ne trouve plus exactement ce qu’il cherchait, ne repartira pas les mains vides. La razzia des chercheurs de pépites étant accomplie, ne restera en rayons que le tout venant, à quelques exceptions près. Dans lequel quiconque peut trouver de quoi satisfaire ses papilles. Il est destiné à la clientèle de base, au niveau d’exigence moyen, à la connaissance modeste, qualifiée parfois d’œno-gogo (Périco Légasse, Marianne 18/09/2015).
Celle-ci se positionne dans une fourchette de 5 à 20 euros, pour un panier moyen d’une centaine d’euros. Elle dispose rarement d’une cave convenable, apte au vieillissement.
Pas de cave, pas de réserve, ni de vins de longue garde. La plupart des produits en vente ne sont donc pas vinifiés pour une longévité de légende. Passé six ans, ils se seront débinés.
Pour accueillir l’acheteur potentiel, les hypermarchés ménagent dès l’entrée un large espace dédié, labyrinthe de caisses en bois et de cartons, aux murs tapissés des flacons de toutes provenances, ornés de pampres de plastique et de tonneaux vides.
Animent ces pseudo temples de Bacchus, des personnels spécialement mobilisés, caparaçonnés d’un long tablier sombre, se la jouant sommeliers de haut vol. Leur mission: capter le client. Leur atout: outre quelques notions d’œnologie vulgarisatrice, une formation psychologique permettant d’adapter l’approche commerciale aux différentes catégories de cibles. Comme la néophyte soucieuse d’un bon choix pour un emmerdeur prétentieux. Un vrai métier ou il convient d’aligner comme il faut les éléments de langage : «2020, une très très grande surprise. On a des vins extrêmement frais, des tanins mûrs mais très doux, enveloppés, pas fatigants, jolis !» Du Stéphane Derenoncourt dans le texte. N’est ce pas bien dit ? Il existe une réelle connivence entre la bibine et la littérature. Plus un produit est quelconque, plus sa présentation tourne à l’amphigouri.
Tel le Clos Machinchose ou le Château Trucmuche qui «est intensément coloré et richement bouqueté :arômes de fruits noirs et de réglisse, souple et charnu en bouche avec une belle longueur» ou «issu de coteaux argilocalcaires, belle structure avec une palette aromatique étendue, nez remarquable par sa richesse et sa finesse, robe d’une magnifique tonalité, finale élégante, idéal compagnon d’un rôti de veau». En opposition à cette prose alambiquée, le Mouton Rothschild, à 1200 euros le flacon, se borne à avancer son seul patronyme, sans le moindre commentaire.
À consommer, bien sûr, avec modération. Une précision, toutefois : en matière de santé, si le vice est souvent puni, la vertu n’est pas obligatoirement récompensée.
Jean-Paul Demarez
Joli article, très plaisant