Lorsque le Ministère des Affaires étrangères voulut, au début du 20e siècle, redécorer son ambassade viennoise, il fit appel à de grandes signatures d’artistes. Ce bien bel édifice, élégant en diable, méritait à juste titre les plus grands soins ce qui fait que l’édifice peut aujourd’hui se vanter d’être « la seule représentation diplomatique au monde de style Art Nouveau ». Outre des noms remarquables comme Majorelle (pour l’escalier), une série de douze tableaux censés illustrer « la vie et les inventions modernes » avait été commandée à un certain André Devambez (1867-1944). Pourtant séduisantes (détail de l’une d’elles ci-dessus), ses illustrations ne furent pas au goût des commanditaires. Elles avaient même été renvoyées en France avant que dans les années quatre-vingt, quelqu’un se ravise, renvoyant les belles images à Vienne. Elles donnèrent même leur nom au salon où elles ont été accrochées pour de bon. Il se trouve que André Devambez est actuellement exposé au Petit Palais lequel musée a été bien inspiré d’honorer ce touche-à-tout aimant à l’évidence s’amuser en travaillant.
D’ailleurs dès l’entrée de l’exposition, une grande photographie le montre hilare avec une remarquable barbiche, disons de genre impérial. Pour ce qui est d’achever la petite histoire viennoise, une pièce est dévolue à cette affaire, avec un diaporama animé et commenté. On y voit que l’homme s’intéressait effectivement à la vie moderne et qu’il avait notamment peint des quais de métro bondés, ce qui, en 1920, n’était peut-être pas le sujet suscitant d’emblée l’intérêt d’un artiste. Cent ans plus tard d’ailleurs, c’est à peu près toujours aussi vrai.
Ce sont bien ses représentations du monde contemporain qui séduisent le plus, surtout quand elles semblent réalisées depuis les hauteurs de son imagination. À moult occasions en effet, Devambez a créé l’illusion de la vue aérienne. Parfois c’était pour de vrai comme lorsqu’il croque l’exposition de 1937 au Trocadéro depuis le deuxième étage de la Tour Eiffel. Mais ce qu’il aime selon toute apparence, c’est lâcher la bride à son imagination pour concevoir par exemple en 1910 une « Noce en aéro-taxis » au-dessus de Paris, merveilleuse allégorie tâchant d’anticiper des lendemains chantant la folle ivresse du progrès. Devambez réveille notre âme d’enfant et ce n’est pas si souvent qu’une occasion pareille se présente. Dans le contexte actuel où le pessimisme tente par tous les bouts d’altérer notre bonne humeur, l’occasion est fichtrement bonne à saisir, comme une bouffée euphorisante de protoxyde d’azote sans les inconvénients de la chimie.
Il pouvait également réaliser des peintures de facture bien plus classiques, certes moins amusantes mais tout de même dignes d’intérêt. Comme le portrait de ses deux grands enfants, Pierre et Valentine, peinture présentée comme majeure et qu’il achève en 1920. Sans doute est-ce en raison de son amour paternel, mais cette toile est effectivement frappante de réussite, conférant aux deux jeunes personnages un effet d’éternité troublant, peut-être même souhaité. Son lien bienveillant à l’enfance s’est aussi traduit par sa série « Auguste a mauvais caractère » avec des titres prometteurs comme « La révolte des jouets ». Une certaine idée du bonheur, un indéniable esprit fantaisiste, émaillent sans conteste sa production.
Cependant, André Devambez voguait d’un genre à l’autre avec une incontestable agilité. En témoigne ce bien étrange « Amoureux sur le toit d’un immeuble » (ci-contre) échappant totalement à ses styles habituels. Où est-il allé chercher une atmosphère pareille, évoquant avec beaucoup d’avance les mondes de Enki Bilal, la dystopie, mystère. D’autant qu’il n’y pas d’autre exemple comparable sur les cimaises alentour. Luminosité spéciale accentuant la solitude des amoureux en question, uniformité architecturale des immeubles, sensation de silence, cette œuvre interpelle par sa beauté sombre alors que l’on jubilait un instant plus tôt devant ses machines volantes, son « Barbe bleue », ses « Rois-mages » ou encore son « Chaperon-rouge ».
L’incohérence de sa production est l’atout de cette exposition où l’on ne s’ennuie pas un instant. Paysagiste, illustrateur pour la publicité, façonnier d’aimable science-fiction, documentaliste du progrès industriel, André Devambez s’exprimait quelle que soit l’approche graphique, avec une égale ferveur. Un homme qui aimait par ailleurs la photo, se disant subjugué par cette possibilité encore nouvelle de faire des images, n’hésitant à retoucher à la gouache ses propres tirages.
Mais ce sont, parions-le, ses machines volantes que le visiteur emportera en souvenir et pour longtemps dans sa mémoire. Son « Dirigeablobus » (détail ci-dessous) ou son « Mariage en aéroplane autour de la Tour Eiffel et de la Seine » (1909 dans les deux cas) ravissent le regard. Il paraît que ce sont les encombrements autour de l’Opéra, dus à l’aménagement de la ligne 7 du métro, qui l’avaient en l’occurrence inspiré. Illustrant ainsi cet axiome selon lequel plus on s’élève mieux on se sent et plus la perspective d’une redescente contriste. C’est là tout l’avantage des poètes, artistes et romanciers, ce que le monde ne leur offre pas, ils le créent.
PHB
Rien que l’affiche dans les couloirs du métro parisien est euphorisante !
Quelle découverte!
Merci
Est-ce qu’André Devambez ne dut pas ses commandes aux relations de son père, si l’on en croit André Warnod dans « L’Ami du lettré. Année littéraire et artistiques pour 1927 « (Paris, Grasset, 1926, pp. 138-40), repris dans Apollinaire, « Correspondance générale », tome 1, pp. 191-2.
Davantage qu’Enki Bilal, l’amoureux sur le toit m’évoque fascisme et futurime italien. Mais je n’ai pas les références 🙁