Démence doctrinaire

C’est bien le moment le plus lourd du film de Oliver Hirschbiegel. Celui choisi par Magda Goebbels pour empoisonner méthodiquement les six enfants qu’elle a eus avec son mari Joseph. Dans « La chute », visible jusqu’au 1er octobre sur Arte en rediffusion, on la voit qui commence par les endormir en leur disant d’avaler ce qu’elle présente comme un médicament, en forcer une qui ne veut pas avaler le somnifère et puis revenir plus tard leur briser une capsule de cyanure dans la bouche. Nous sommes en avril 1945, le couple Goebbels sort dans le jardin qui entoure le bunker du führer et se suicide mutuellement. La démence doctrinaire du nazisme trouve ici son apogée, frappant ses acteurs, adeptes et théoriciens. Interprété par Bruno Ganz, Hitler a fait de même un peu auparavant. L’on voit aussi une autre sommité rejoindre sa femme et ses enfants à table et dégoupiller sur ses genoux les deux grenades qui mettront un terme précoce à leur vie de famille. Ce film sorti en 2004 est un cauchemar épouvantablement bien raconté.

Il a été dit que Ganz et le réalisateur avaient fait de Hitler un personnage presque sympathique, on se demande vraiment comment, le risque en effet eût été de tomber dans une caricature contre-productive. En fait, le profil ignoble du chef est impeccablement rendu, n’ayant aucune pitié pour personne et encore moins pour son peuple, celui que ses généraux dans les derniers jours, le pressent d’épargner en cessant le combat. Pour son suicide, il donne des instructions à son aide de camp qui doit alors se procurer deux cents litres d’essence afin de calciner les corps. Car sa dépouille ne doit pas finir entre les mains de l’ennemi. La notice de Arte reprend une citation de l’acteur dans Le Monde, en 2005 à propos de ce rôle: « Ce qui m’a décidé, ce fut la première séance de maquillage. J’étais à Munich, on m’a mis la moustache, la perruque, j’étais très effrayé, mais je me suis dit : c’est bien pour moi, comme acteur. » Il est à vrai dire confondant de ressemblance et dépeint un monstre devenu complètement dingue, croyant jusqu’au dernier moment que deux de ses divisions en réalité défaites, vont venir écraser l’ennemi. Alors même que l’armée russe infiltre Berlin de toute part. On le voit trépigner de rage et maudire ses généraux qu’il aurait dû, selon lui, faire fusiller bien plus tôt. Cependant qu’il doit se rendre à l’évidence et ouvrir la sacoche de poison que lui a confié Himmler. Il ne veut pas se rater, ni rater son épouse, deux balles sont tirées, en même temps qu’ils absorbent le cyanure.

Cette débâcle est incroyablement réussie pourrait-on dire. L’atmosphère de déroute et jusqu’à la capitulation sans conditions, envahit notre séjour de spectateur du 21e siècle. Le réalisateur a par ailleurs choisi un fil directeur intéressant. Puisque que l’histoire débute avec l’embauche de la dernière secrétaire de Hitler. Traudl Humps, une jeune Munichoise de 22 ans, accompagne toute l’histoire. Son témoignage a dû largement compter car elle est morte en 2002. Jouée par l’actrice Alexandra Maria Lara, elle est là notamment pour dactylographier le testament de Hitler. On la voit en vrai au début et surtout à la fin du film où elle a cette phrase marquante à propos de sa collaboration malsaine, de son dévouement à la cause: «La jeunesse n’est pas une excuse, on aurait dû s’enquérir de certaines choses.» Tout le monde n’a pas cette franchise et sa remarque serait, à bien des égards et dans l’époque qui se dessine, à retenir.

Pour en revenir à Magda Goebbels, le film ne précise pas qu’elle n’a pas tué tous ses enfants puisqu’elle a épargné son aîné fils Harald Quandt (issu d’une première union), engagé dans la Luftwaffe. Il survivra jusqu’en 1967 dans un monde que sa mère, via une lettre qu’elle lui avait expédiée avant de se donner la mort, décrivait à l’avance comme ne valant plus la peine d’y vivre, ni pour elle ni pour sa progéniture. Tellement certaine de sa folle décision qu’elle ne leur avait pas laissé le choix à ses enfants, malgré dit-on, les suppliques du personnel prévenu. L’horreur -instructive- jusqu’au bout, nous étreint.

PHB

« La chute » Arte replay, jusqu’au 1er octobre

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2 réponses à Démence doctrinaire

  1. Jacques Ibanès dit :

    Magda est la Médée du XXème siècle. Sur ce mythe terrifiant, cf. le beau livre récemment paru de Jean-Loup Martin « Où me portera ma colère » (L’Harmattan)

  2. Philippe PERSON dit :

    Votre article me fait penser qu’il n’y a pas encore eu, à ma connaissance, de fictions sur les femmes du IIIe Reich. Magda, Eva, Leni… je crains que ça ne vienne. Magda est un personnage hélas fascinant… Famille BWW, mondaine, intrigante, première dame du Reich hitlérien et comme dit Jacques moderne Médée…

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