Après l’avoir joué en mai, à Paris, au Théâtre du Rond-Point, François Morel part aujourd’hui en tournée avec son spectacle “Tous les marins sont des chanteurs”. Entouré d’une bande de joyeux lurons, il réhabilite Yves-Marie Le Guilvinec (1870-1900), un poète et marin breton aujourd’hui oublié. Si l’intéressé n’a rien d’un Rimbaud breton, le spectacle n’en est pas moins plaisant, drôle, et porteur de quelques messages bien pensés. Un hommage en chansons des plus joviaux, insolite à souhait, à la mer et à ses marins, porté avec entrain par de sacrés farceurs ! Et un François Morel plus que jamais grand blagueur devant l’éternel …
En prenant place, le public est invité à faire connaissance avec l’auteur du spectacle dont les dates de vie s’affichent en gros caractères sur le rideau de scène. Coïncidence extraordinaire, Yves-Marie Le Guilvinec est décédé à 122 ans d’écart, jour pour jour, de celui de la représentation. Il s’agit d’une date anniversaire. Ce que ne manque pas de souligner le conférencier qui s’avance sur scène, un homme éminemment sérieux, aux airs de Castex jeune -admirable Romain Lemire !-, un ancien thésard bien décidé à nous faire partager dans les moindres détails ses connaissances sur l’illustre inconnu. Nous saurons donc tout sur ce poète injustement oublié, marin de profession, spécialisé dans la pêche à la morue. Mais le discours, sous ses airs solennels, s’avère vite totalement décalé, truffé d’absurdités et loufoqueries en tous genres, et notre homme, un merveilleux pince-sans-rire. Sa dithyrambe, ponctuée des interventions de François Morel et de ses comparses, est en tout point hilarante. Et les chants entonnés, au rythme entraînant du folklore breton, sentent bon la mer et les embruns. On ne pouvait s’attendre à moins du fantaisiste François Morel et de ses camarades, par ailleurs talentueux chanteur et excellents musiciens. Piano, trompette, accordéon, guitare, violoncelle et percussions donnent indéniablement à ce spectacle des airs de fête !
Les chants, graves ou joyeux, aux paroles parfois franchement rigolotes, sont un hommage aux marins, à leur courage, à la vie sur mer, et aux “Pénélopes de dentelle” qui les attendent à quai. Le bistrot, le port d’attache, la bien-aimée, et la dure vie de matelot répondent aux belles images d’Épinal, et la mise en scène vient par moments pousser encore plus avant la caricature avec la projection d’illustrations sur une grande toile tendue, telle une voile de navire…
Des textes parfois très drôles, chantés avec le plus grand sérieux, qui laissent percevoir un esprit des plus fantasques et une indéniable tendresse. “Le capitaine est un pourri” entonne avec fougue le petit moussaillon, “Je n’irai pas à la morue / Mon capitaine, mon capitaine / Je n’irai pas à la morue / Sans avoir courtisé Lulu” chante un autre, plus loin. Ou encore “Ah ah ah comme c’est dur / D’être matelot / Ah ah ah comme c’est dur / Surtout quand / On n’aime pas l’eau.” Si l’on rit beaucoup, les sujets graves ne sont pas pour autant laissés de côté, qu’il s’agisse des naufrages ou de l’écologie, nous ramenant, par ailleurs, à une tragique actualité. Le message est asséné sans détour : “Quand un homme tombe à la mer / Si tu es marin / Simplement humain / Tu lui tends la main / Tu le ramènes sur terre (…) Faut pas lui d’mander / S’il a des papiers / S’il a un métier / Ou une fiancée (…)” (1) ou encore “Un jour il n’y aura / Plus un poisson dans les mers / Plus un oiseau dans les airs / Et plus personne sur terre.” (2)
Ce mélange des genres, où s’entrecroisent, dans un esprit bon enfant, chansons humoristiques et nostalgiques, imitation hilarante de Léo Ferré et déguisement de Morel en vieille bretonne, fait tout le sel de ce spectacle qui ne cesse, avec ces ruptures de ton, de nous surprendre… et de titiller notre curiosité. Car les paroles totalement idiotes d’un petit poème pour lequel Yves-Marie Le Guilvinec s’était soi-disant retrouvé finaliste, une allusion à Marie-Pierre Planchon, une analyse lexicale totalement farfelue de “La Paimpolaise” de Théodore Botrel (1868-1925) et autres propos fort saugrenus finissent par distiller un doute en nous. N’aurions-nous pas affaire à un énorme canular ? Se pourrait-il que cet Yves-Marie Le Guilvinec ne soit pas plus réel qu’Émile Ajar ou Vernon Sullivan en leur temps et fût inventé de toutes pièces ? Il y a fort à parier que si nous revenions un autre soir celui-ci marquerait là encore le 122e anniversaire de la mort d’Yves-Marie Le Guilvinec. Tous les marins sont des chanteurs et François Morel, un grand farceur bien talentueux.
Isabelle Fauvel
Yves-Marie Le Guilvinec a bien existé, c’était le descendant de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, capitaine de la flibuste
Lors d’une précédente rencontre, François Morel m’a confié l’avoir inventé de toutes pièces, ce dont je me doutais fortement. Un homonyme ?