Quel bien petit village que celui de Grizac, au sud du Mont-Lozère, comme lieu de naissance du si grand pape que fut Urbain V ! Pensez donc : béatifié en 1870, il est le seul des pontifes avignonnais (sept papes et deux papes schismatiques) ayant reçu le titre de Bienheureux! Le futur pape naquit en 1309 à Grizac, hameau des Hautes-Cévennes en pays gévaudan, dans le château familial construit peu avant sa naissance par son père, le chevalier-paysan Guillaume II Grimoard. Non seulement Grizac était et demeure un hameau des plus modestes (à quelques kilomètres de Pont-de-Montvert où débuta la guerre des Camisards au XVIIIème siècle), mais curieusement, le château se situe en contrebas du village, une position inhabituelle, et il se présente plutôt comme une grosse ferme à peine fortifiée. Quand on arrive devant l’entrée, on aperçoit au premier plan une série de petits bâtiments, tel un four à pain conique, comme on en voit autour des nombreuses fermes de la région, abandonnées ou en cours de restauration. Au second plan, se dresse le vaste corps de la façade rectangulaire, trouée de minuscules ouvertures, flanqué à droite d’une tour appuyée à un autre bâtiment perpendiculaire, le tout massif et austère, en pierre de granit régional et toit de lauzes, comme toute ferme du coin qui se respecte.
C’est seulement en prenant du recul et en s’élevant au-dessus et de côté du hameau que l’on découvre la formidable perspective : la ferme-château est bâtie sur un éperon rocheux dominant les gorges du Tarn, avec vue plongeante et environnante à l’infini sur les forêts et les monts d’alentour.
De quoi inspirer des idées de grandeur et d’austérité au fils ainé de Guillaume II Grimoard et Amphélise de Montferrand, baptisé en 1310 avec pour parrain son oncle Elzéar de Sabran, comte d’Ariano et régent du royaume de Naples. C’est ce que nous apprend Wikipédia, très prolixe sur le sujet, et explique les liens que dès sa naissance, le petit Guillaume entretiendra avec l’Italie, où il accomplira plus tard d’importantes missions diplomatiques. Devenu juriste docteur ès domès (droit canon) et professeur d’université réputé ayant l’oreille des papes Clément VI et Innocent VI, ceux-ci le chargeront des plus illustres abbayes bénédictines de France et de Provence, puis lui confieront moult missions en Italie : missions de négociation auprès des Visconti à Bologne en 1352, puis mission express à Naples en juin 1362 auprès de Jeanne, comtesse de Provence, dont le mari Louis de Tarente vient de mourir. L’émissaire apporte à la jeune veuve de trente-six ans les instructions papales. On se croirait dans les «Chroniques italiennes» de Stendhal, à un siècle près. Et c’est d’Italie que l’ainé des Grimoard apprendra en 1362 son élection papale à l’unanimité par le Sacré Collège. Et c’est dans Rome qu’il fera «un retour triomphal» (?) le 16 octobre 1367, mais il semblerait que seul Pétrarque s’en soit réjoui ouvertement. Trois ans plus tard, lassé par les incessantes querelles italiennes, il retournait à Avignon pour y mourir.
Ce pape diplomate fut aussi, semble-il, un pape écologiste avant l’heure. Il aurait déclaré en arrivant au palais des Papes : «Mais je n’ai même pas un bout de jardin pour voir grandir quelques fruitiers, manger ma salade et cueillir un raisin.» Des historiens pensent que l’austérité de sa Lozère natale pourrait expliquer ce désir, ce que l’on croit volontiers face au grandiose paysage où il est né et où il a grandi jusqu’à douze ans. En tout cas on lui doit l’importante extension des jardins pontificaux, dont celui jouxtant sa demeure, toujours appelé «Jardin Urbain V», comme ses encouragements à développer en raisin muscat le vignoble de Châteauneuf-du-pape.
Autre domaine où ses origines ne furent pas oubliées par ce pape bâtisseur, comme il est indiqué sur le panneau à l’entrée du domaine: collégiales de Bédouès et de Quézac, faculté de médecine de Montpellier, «studium» à Saint-Germain-de-Calberte, église à La Canourgue, église paroissiale à Grizac. Tout près de la ferme-château des Grimoard, repris en 1982 et restauré depuis par un descendant de la famille, se trouvent aujourd’hui, dressés sur le ciel, les murs d’un temple protestant : édifié en 1860, restaurés en 1990 par le Parc National des Cévennes, il préfigure et symbolise ce qui se passera deux siècles après le règne du pape Urbain V en Lozère. À Mende en particulier.
Car bien entendu il y a Mende, évêché que le pape lozérien s’est réservé, dont il affecte les revenus à la construction de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Privat. Économe dans bien des domaines, ce «pape austère, ascétique, pourchasseur d’abus, redresseur de torts», selon les paroles de Charles Pomaret, ancien député de Florac et maire du Pont-de-Montvert, ne fit pas détruire la cathédrale primitive remontant à l’origine à un sanctuaire mérovingien, puis pré-roman, puis roman, mais décida de l’aménager. Le splendide édifice (ci-dessous) un peu hétéroclite qui se dresse aujourd’hui place Urbain V en haut d’un impressionnant escalier au cœur de la préfecture de Lozère, que l’on aperçoit de tous les quartiers de la ville, n’est plus celui imaginé par l’enfant de Grizac. Car la sauvage Lozère devenue une terre de combats à la suite de la Saint-Barthélemy, des seigneurs protestants mirent le feu à la cathédrale en 1581. Si bien que la cathédrale d’Urbain V se trouve être aujourd’hui, après reconstruction à partir du XVIIème siècle, le seul bâtiment pleinement gothique du département.
Une imposante statue du pape sur socle, à droite de la place, installée en 1874, honore l’enfant du pays, «le bienheureux Urbain V, bienfaiteur du Gévaudan». En 2015, l’archiprêtre de la cathédrale d’Uzès a baptisé une sacristie en son honneur.
Lise Bloch-Morhange
– Visite tout l’été du château de Grizac sous l’égide de son sauveur le marquis de Laubespin et Exposition sur Urbain V
– À Mende, pendant tout l’été, festival musical Les jeudis de la Cathédrale, concerts gratuits
Bravissimo pour ce salut fidèle à qqs siècles de distance. Nous aurions pu nous y croiser au plus fort de la canicule et des orages cet été, dans ces magnifiques gorges du Tarn au dessus de Florac les 3 rivières. Je vous lis souvent et ne vous connais pas cependant. Bonne rentrée Lise. Bises à Philippe. Martine
Merci de votre chaleureux commentaire. Cette année fut celle de mes secondes vacances lozériennes: nous aurions pu nous croiser un jour de forte pluie à Florac, ou dans ses alentours. Histoire d’échapper aux foules dans des lieux magnifiques et secrets. Nos chemins parisiens se croiseront peut-être un jour…
Bravo Lise et merci beaucoup pour ces renseignements historiques très intéressants!
Bonne fin d’été
Amitiés
José Délias
Merci Lise pour ces sympathiques rappels historiques. A noter que le modeste château de Grizac a été presque complètement reconstruit il y à un demi-siècle. C’est plus une ferme fortifiée dans un très beau hameau des hautes Cévennes. Paradoxe de l’histoire qui fait naître un pape réformateur et austère au pays des Réformés. Vive l’oecuménisme culturel !
bonjour Lise
Merci pour tes petits « tours » intéressants hors de ta zone de confort !
A bientôt aussi pour ta chère musique
mh
Merci pour ton amical salut Marie-Hélène!
Cela dit je ne crois pas être « hors de ma zone de confort » en Lozère où je me sens fort bien!
Belle rentrée à toi
Lise