Par définition, l’abstraction abolit le sujet, du moins sa représentation. Bien malin celui qui pourrait discerner dans le détail du vitrail ci-contre, la symbolique des fonts baptismaux. Dans l’après-guerre, l’Église qui s’apprêtait à perdre son latin, était encore un peu frileuse à l’égard de la modernité. Ce qui fait que ce verre, peinture à la grisaille et plomb, n’a pas été retenu par l’église de Choye en Haute-Saône. Ce vitrail pourtant remarquable, réalisé par Jacques Bony en 1953, a depuis trouvé un musée tout neuf pour l’abriter. L’ancien hospice de Conches-en-Ouche (Eure), transformé en musée du verre, vient en effet d’ouvrir ses portes pour célébrer cette matière sous toutes ses formes. Bien qu’il ne soit pas vraiment facile d’accès à partir de la gare d’Évreux, le bâtiment mérite amplement l’effort d’une expédition, tant pour sa transformation impeccable en musée moderne que pour la richesse bien ordonnée de ses collections.
Pour ce faire, la petite cité normande disposait tout à la fois d’un alibi et même d’un atout en la personne du maître verrier François Décorchemont (1870-1971) originaire de Conches et précurseur de la pâte de verre. Sous la houlette de ses élus, la ville avait créé un premier musée dans un hangar dès 1996 puis, l’ambition et les acquisitions prenant de l’ampleur, elle décida de lui offrir un nouvel écrin reconfiguré par un cabinet d’architectes parisiens. Plusieurs centaines de pièces constituent actuellement les collections permanentes. Lesquelles offrent un passionnant parcours chronologique, faisant graduellement passer le regard du visiteur de l’Art Nouveau à l’Art-Déco, jusqu’à des productions davantage contemporaines.
Par leur élégance évidente, quasi-inaliénable, les pièces Art-Déco focalisent l’attention. Avec le verre, les artistes choisissant ce genre, se déchaînent dans le meilleur sens du terme avec des artisans comme Maurice Marinot (1882-1960), Michel-Aristide Colotte (1856-1959) et bien évidemment François Décorchemont. La plupart des œuvres sont signées et peu dupliquées, leur conférant ainsi une certaine valeur. C’est l’époque des grands manufacturiers comme Daum, Lalique ou encore Charles Schneider. Les frères Schneider incidemment, étaient des transfuges de Daum, ayant décidé de quitter Nancy afin d’ouvrir leur propre atelier à Épinay-sur-Seine. Bien leur en avait pris, car ils connurent le succès, notamment Charles (1881-1953) avec des vases en verre soufflé au style pour le moins convaincant. Leur production était pourtant tombée progressivement dans l’oubli avant que des amateurs ne s’y intéressent à nouveau dans les années quatre-vingt. Bienheureux musée de Conches qui fut le réceptionnaire d’une grande partie de la collection du peintre et graveur Barlach Heuer (1930-2019). Soit quelque 130 objets qui garniront en alternance les vitrines du musée. Il est important de mentionner d’ailleurs avec quel soin l’agencement général des lieux a été effectué. Au charme et à l’étonnement constants qui prévalent dans chaque pièce, s’ajoutent de propices panneaux pédagogiques. La lumière notamment a été particulièrement soignée s’agissant d’une matière par définition transparente. Les vitraux par exemple, bénéficient d’un rétro-éclairage savant, restituant l’effet qu’ils auraient pu produire avec une luminosité naturelle.
L’inventivité des artistes ayant travaillé cette matière si particulière qu’est le verre, réserve de belles surprises. Il nous est ainsi donné à voir et même à admirer, les œuvres singulières de Isabelle Monod (1945-). Comme ce « Menhir » en verre soufflé (ci-contre) comportant une inclusion diaphane et à vrai dire singulière puisque l’on discerne mal -mais c’est sans importance- un monolithe gaulois. Elle est aussi l’auteur d’une composition à la géométrie étonnante qui n’est pas sans rappeler Picasso. Comme elle l’a justement confié au site « verre-online« , son travail « est tout au plus un fil qui (la) relierait par quelque mystérieux processus à l’histoire des autres ». Lors de notre visite, le maire-adjoint de Conches nous expliquait en outre que cette artiste vivant à Touron dans les Alpes-Maritimes, tenait à ce que les tarifs de sa production soient abordables pourvu qu’ils lui procurent de quoi vivre simplement.
Ouvert de mars à novembre, gratuit pour la première année, le « Musée du Verre François Décorchemont » vaut autant par son contenu que par son contenant. La transformation de cet ancien hospice en musée a fait l’objet d’un reportage photographique qui occupe toute une pièce. Selon Véronique Figini, historienne de la photographie, les prises de vues de Christian Siloé s’inscrivent pleinement dans une « veine humaniste », emblématiques d’un chantier en cours. On y voit l’ancien bâtiment d’abord démembré, reprendre petit à petit sa nouvelle existence tout en préservant son histoire. Comme le souligne aussi Véronique Figini, en s’inspirant d’Eugène Atget, Christian Siloé a saisi « la poésie des espaces par la seule exactitude des cadrages et des proportions ». Tout en y incluant les ouvriers à la tâche ce qui n’est pas sans rapport avec le délicat travail d’artiste verrier.
PHB
« Musée du Verre François Décorchemont », 25 rue Paul Guilbaud 27190 Conches-en-Ouche du mercredi au dimanche de 14h à 18 heures et jusqu’au mois de novembre
Photos: ©PHB
Première article de l’année, première découverte !
Merci pour ce joli retour…
Vive les Soirées de Paris en verre et contre tout…
Mille bonnes choses pour cette nouvelle saison à tous les lecteurs et contributeurs
Merci Philippe pour ce billet de reprise qui fait plaisir aux lecteurs des Soirées.
Pour les amateurs de vitraux, je signale dans le Doubs l’église d’Audincourt avec un ensemble extraordinaire de 17 pièces de Fernand Léger (à la symbolique lisible), ainsi qu’une mosaïque et un baptistère de Bazaine. Un tel ensemble peut mériter un voyage dans le secteur !
merci pour cette découverte ! oui c’est toujours un plaisir d’apprendre .
Quant à l’avis de Mme Figini ! on s’en passe !
Juste pour info :
ce n’est pas François SILOÉ mais Christian
rien de grave
merci c’est corrigé
Superbe reprise, du pied à l’étrier, ou du stylo sur le papier, ou des doigts sur le clavier …
Une escapade inspirante; merci au messager .
Conches-en-Ouche, le périple de l’été. Imprévu, improbable, et pourtant si évident! Merci aux Soirées de Paris de sortir ainsi des sentiers battus !