L’entre deux-guerres, les congés payés et les premiers estivants, ont créé les marchands de souvenirs. Telle cette vue de Royan sur plaque de verre qu’un jour quelqu’un a accroché dans le salon au-dessus du buffet avant qu’elle ne finisse dans une brocante où elle a été cédée pour dix sous. Il paraît, selon un article du Parisien paru voici deux ans, que presque tous les vacanciers rapportent des souvenirs, en sus de leurs innombrables photos. Le mug, le porte-clés, le phare-baromètre, le magnet, les bols-prénoms, le galet peint, la carte postale, la boule à neige, tout y passe. Rien qu’en France, il s’en vendrait pour 3 milliards d’euros chaque année. Cependant, tout est souvenir dès lors qu’un objet rappelle quelque chose à son utilisateur. Le télescope James Webb vient même de nous rapporter des souvenirs du Big band, c’est dire.
Il y a des livres-souvenirs qui une fois ramenés à la maison, laissent des années après filer quelques grains de sable. Leur couverture a jauni sur le transat le temps des baignades. Les enfants entretiennent de leur côté et pour pas cher, un transit continuel de coquillages, voire d’étoiles de mer qui compteront parmi leurs premiers souvenirs. Vieux réflexe puisque le chasseur-cueilleur probablement avait lui aussi à cœur de ramener des trophées de chasse qu’il accrochait avec fierté sur les parois de sa caverne comme autant de trophées. Au passage, si le télescope James Webb modifiait légèrement sa focale, nous les verrions peut-être à l’œuvre, nos ancêtres. Qui peut le plus peut le moins.
Car le souvenir n’est pas lié qu’aux vacances. En littérature on peut par exemple citer Baudelaire qui dans « La Fanfario » écrivait, « serais-je assez heureux madame pour être encore logé dans un coin de votre souvenir? », manière de dire que l’on peut prétendre à être le bibelot immatériel qui suscitera chez le logeur, la logeuse en l’occurrence, quelques images choisies. On ne peut évidemment omettre Proust et son biscuit préféré dont il louait « l’immense édifice du souvenir ». Au chapitre des grands professionnels, il est impossible de ne pas mentionner André Salmon et les trois volumes de ses « Souvenirs sans fin », s’étalant sur près de quarante ans (donc avec échéance). Un spécialiste du genre dont ont largement profité les biographes d’Apollinaire et de quelques autres contemporains. Apollinaire bien sûr, lequel prévenait si joliment que « les souvenirs sont cors de chasse dont meurt le bruit parmi le vent ». Ce n’est rien de dire que depuis douze ans maintenant, sans dévotion mais avec affection, nous cultivons sa mémoire.
Le souvenir et l’envie de le matérialiser est lié à notre condition d’êtres humains. C’est notre conscience qui s’inquiète, aiguillonnée à juste titre par notre peur d’oublier. Les cimetières en sont pleins de ces objets qui n’ont d’autre vocation ultime que de nous survivre. Faute de survivants ils interpellent le passant. Comme sur cette tombe du cimetière de Belleville où la plaque mémorielle a fini par s’opacifier mais où l’on distingue encore le mot « souvenir ». Lequel peut être aussi immatériel comme le prétendait pertinemment Cocteau en proclamant que « le vrai tombeau des morts est dans le cœur des vivants ». Sauf que passé le dernier vivant d’une famille de connaissances, il n’y a plus que des traces ou, dans le meilleur des cas, une œuvre, un livre, un musée, un arbre. Mais comme toujours au bout du compte, ce sont les auteurs de science-fiction les plus forts, les seuls autorisés à avoir inventé les souvenirs de l’avenir.
Façon de prévenir les habitués des Soirées de Paris, y compris ceux qui en poussent la porte à intervalles irréguliers, qu’à partir de demain, nous prenons congé. Sauf imprévu, nous serons de retour le 24 août. Avec notre meilleur souvenir et bonnes vacances. PHB
Même pas une petite carte postale ?
Bonnes vacances !!!
Merci pour ce beau texte et bonnes vacances
Bonnes vacances pour nous engranger vos souvenirs. Merci
Oh, vous nous quittez si longtemps ?
Sur le thème du souvenir, il y aura beaucoup à raconter..
Profitez , profitons du moment présent..
Belles vacances cher Philippe. Retrouvez les Soirées sera l’une des consolations de la rentrée.
Bonnes vacances à vous aussi !☀️⛱️
Les Soirées de Paris, revue qui s’inscrit dans la durée. Merci Philippe, et félicitations. Bonnes vacances.
Vous rentrerez juste à temps pour fêter le 142e anniversaire d’Apollinaire. Ne vous trompez pas de jour! En attendant votre plume toujours féconde aura accumulé de quoi nous réjouir. Merci. Claude