Quand le Néandertalien refait surface

Il y a environ quarante mille ans, dans le Périgord, une femme accoucha et pour une raison inconnue, partit après avoir enfoui le petit corps. Et puis tout au début du vingtième siècle, il fut exhumé par un préhistorien. Vertigineuse découverte succédant à quelques autres depuis le milieu du dix-neuvième siècle, laquelle mettait une fois de plus au jour les reliquats d’une population disparue, les Néandertaliens, appelés ainsi en raison du premier site de la première extraction du genre, en Allemagne. Depuis cent ans, les progrès techniques, notamment à partir d’analyses d’ADN mitochondrial, ont permis d’établir que 1,8 à 2,6% de notre génome actuel appartient à cette classe lointaine d’hominidés. Autant dire des cousins à partir desquels l’archéologue Rebecca Wragg Sykes, a remonté le fil d’une histoire fascinante, dont elle a écrit le roman. Publié en anglais, il vient d’être traduit et édité par la maison Delachaux et Niestlé. Un voyage dans le temps extraordinaire, savant, qu’elle a additionné en tête de chaque chapitre, d’une délectable prose poétique.

Le dépaysement proposé est total. La somme des connaissances glanées par la communauté scientifique sur cette humanité disparue, laisse pantois. D’autant qu’au 19e siècle, époque de la première découverte, le créationnisme était encore écrasant, c’est à dire l’hypothèse selon laquelle, l’homme avait été conçu par Dieu. Le travail des préhistoriens est venu largement bousculer les idées reçues dans ce domaine, c’est rien de le dire. Ainsi lorsqu’un squelette de Néandertalien fut découvert près de Gibraltar, son origine fut bien difficile à avaler pour beaucoup. Au point qu’un anatomiste prussien crut devoir avancer que les ossements étaient ceux « d’un Cosaque souffrant d’arthrite » et que s’il fallait une preuve supplémentaire, l’aspect arqué des jambes attestait d’un passé de cavalier. Ce qui fait évidemment sourire l’auteur du livre, avec une certaine indulgence toutefois, décelable entre les lignes, tant il vrai que tout cela était un peu nouveau.

Rebecca Wragg Sykes nous offre pour le moins une belle embardée dans la protohistoire de l’humanité, dissertant entre autres choses sur la dernière journée du dernier néandertalien pure souche, sur le seuil de son abri. Elle décrit les quelque 450.000 années durant lesquelles il apparaît  que notre ancêtre n’était pas forcément un abruti, mais au contraire une espèce capable de s’adapter aux nombreux changements climatiques qui frappèrent le globe à intervalles relativement rapprochés. Il connut autant la terre gelée jusque dans le sud-ouest de la France que des périodes quasi-tropicales au nord de la Seine. Ce qui fit qu’avec une forme de stoïcisme ou d’indifférence, il chassa et mangea aussi bien du renne que de l’hippopotame. Et l’étude des sites montre qu’il savait les cuisiner, les griller ou les bouillir selon son évolution. Car passé cinquante mille ans, la datation au carbone 14 ne fonctionne plus. Il faut étudier les contextes, la stratification des sites, ou utiliser le strontium dont les ratios isotopiques permettent de connaître (avec une certitude cependant variable), une origine géographique, une distance, d’établir une cartographie à partir d’une simple dent ou d’un objet.

Ce livre riche mais fort digeste, nous apprend beaucoup de choses sur nos cousins et leur comportement à partir d’études et de déductions suscitant chez le lecteur, vu la profondeur de l’histoire concernée, une admiration sans bornes. Les traces que les Néandertaliens ont laissées sont en effet toutes aussi bavardes que celles déposées par nous-mêmes sur Internet. Elles autorisent un profilage assez abouti laissant deviner chez eux une forme de sensibilité, par exemple concernant l’usage des pigments pour la colorisation d’un os, d’un coquillage, d’une plume d’oiseau. La seule chose qui manque et manquera toujours, c’est le son. Comment s’exprimaient-t-ils, quel était leur langage, c’est un mystère. Les échos fossiles sont l’apanage jaloux des planètes, des ondes gravitationnelles, mais pas des hommes. Les cris des néandertaliens se sont tus pour de bon, même si l’on peut supputer que nos soupirs ou nos cris en expriment une partie.

L’un des aspects les plus captivants de ce formidable récit est que les Néandertaliens ont croisé les homo sapiens qui devaient les remplacer. Il y a probablement eu des contacts et même des accouplements donnant lieu à une descendance hybride. Celle révélant que notre génome d’immatriculé social ruminant, leur doivent encore quelque chose. Rebecca Wragg Sykes nous explique aussi que nos si vieux aïeux prenaient sûrement du plaisir dans l’acte sexuel, au cours de coïts pas aussi brefs que ceux des singes. Qui sait là aussi ce qu’il nous en reste lorsque nous copulons, le sujet est pour le moins troublant.

L’auteur nous alerte en conclusion sur la tentation -déjà consommée- de se servir de l’ADN récupéré. Elle nous apprend qu’une expérience a effectivement eu lieu, mêlant du matériel génétique néandertalien à des cellules souches. Et la mixture a débouché sur des organoïdes « imitant le fonctionnement du cortex cérébral », émettant des signaux électriques et de surcroît connectables à des robots. « Il serait possible, nous raconte l’archéologue, qu’un laboratoire indépendant introduise les gênes de Néandertal, dans le génome d’un primate, juste pour voir ». Une « ligne jaune » nous dit-elle en exprimant ses réserves morales.

Son livre nous en apprend beaucoup sur nous-mêmes. Alors que nous claquons des dents à l’approche d’un changement climatique prévu pour demain et dont nous constatons déjà paraît-il les prémices, il est bon de comprendre que les Néandertaliens, nos si vieux parents, avaient survécu à des bouleversements bien plus importants, en s’organisant, en se déplaçant. 450.000 ans supplémentaires, si l’on est aussi bons qu’eux, cela nous laisse une certaine marge.

 

PHB

« Néandertal, un parent », Rebecca Wragg Sykes, Delachaux et Niestlé (2022 pour l’édition française) 27 euros

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2 réponses à Quand le Néandertalien refait surface

  1. Philippe PERSON dit :

    Cher Philippe,
    nous « ne claquons pas des dents » à l’approche du changement climatique, mais nous « suons à grosses gouttes »…
    Vaudrait peut-être mieux avoir froid comme aux temps que vous décrivez que très chaud comme au moment de la disparition des Dinosaures, qui vivaient pourtant dans des bureaux ou des véhicules climatisés et se moquaient bien des écolosaures ou des trottinettosaures…

  2. Fradet dit :

    Je serais loin de partager votre conclusion !

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