Nous sommes à Yerres à 25 km de Paris soit à une demi-heure de voiture. La propriété dénommée «Maison Caillebotte» (1) dresse son imposante architecture néo classique voire néo-palladienne avec ses colonnades et les statues de Vénus et Apollon en façade qui dominent le parc de 11 hectares. C’est là que résida pendant 19 ans la famille Caillebotte: le père à l’origine de la fortune familiale et le plus célèbre des fils Gustave -très lié aux impressionnistes- qui a peint sur place plus de 90 toiles au cours des étés des années 1870.
La propriété Caillebotte est aussi depuis 2009 un centre d’art qui accueille dans l’ancienne laiterie à savoir «La ferme Ornée» une des plus belles expositions d’une saison franco portugaise battant son plein, laquelle nous raconte une histoire complètement méconnue en France, celle des «modernités portugaises» sur une période qui va de 1910 à 1970 comme cette peinture (détail ci-dessus) de Sarah Affonso réalisée en 1930.
Une histoire d’échanges culturels artistiques et littéraires intenses entre la France et le Portugal, inséparable de la grande histoire qui débute en 1910 avec la révolution du 5 octobre mettant fin à la monarchie constitutionnelle et instaurant la République au Portugal. Le 28 mai 1926 le coup d’État militaire institue la dictature qui va durer jusqu’au 25 avril 1974, date du début de la Révolution des œillets qui entraînera la chute du régime salazariste.
C’est l’histoire donc de l’attrait exercé par Paris à partir de 1910 sur les principaux tenants du modernisme portugais dont le poète Fernando Pessoa fut le fondateur et un des chefs de file. La capitale française attire les artistes portugais en quête de modernité à l’instar de Amadeo de Souza-Cardoso qui quitte Libonne pour Paris en 1906 à l’âge de 19 ans et rentrera au Portugal en 1914 à cause de la guerre. Il décèdera prématurément 4 ans plus tard de la grippe espagnole. C’est aussi l’histoire du séjour émerveillé dans le Minho au Nord du Portugal des Delaunay, pendant la guerre entre 1915 et 1917. «Je suis ivre de couleur et nous nous mettons à peindre immédiatement, s’était souvenue Sonia Delaunay, la lumière n’était pas violente mais exaltait toutes les couleurs, les maisons multicolores ou d’un blanc éclatant, d’une ligne sobre, des paysans dans des costumes populaires, des tissus, des céramiques aux lignes à la beauté antique d’une pureté étonnante, parmi la foule des bœufs hiératiques à grandes cornes. On a eu l’impression de se trouver dans un pays de rêve».
Dans le même registre, au cours des années 40, le couple Vieira da Silva (ci-contre détail d’un portrait de femme en 1932) et Arpad Szenes qui se rencontrent et se marient à Paris en 1930, déploient leur dialogue artistique et amoureux poursuivant chacun leur singularité. En 1939 ils se voient contraints de retourner à Lisbonne puis se réfugient l’année suivante à Rio de Janeiro. Ils retournent à Paris en 1947. Pour Anne Philippe dans « L’éclat de la lumière » (Gallimard 1978), « Arpad est la seule personne au monde qui me voit à l’intérieur et à l’extérieur. Lui seul me connaît complètement ».
Retour à Paris et à l’Hôtel de la Marine qui célèbre les fastes de la Fondation Calouste Gulbenkian et a fait venir de Lisbonne un groupe de 82 pièces exceptionnelles sélectionnées parmi les plus belles œuvres d’art rassemblées par celui qui fut un des plus célèbres collectionneurs d’art du XXe siècle. Né à Scutari (aujourd’hui un quartier d’Istanbul) il part étudier à Marseille à l’âge de 14 ans puis à Londres au Kings College. Il partagera sa vie entre Londres et Paris où il vivra dans un grand appartement sur le quai d’Orsay puis à partir de 1922 dans son hôtel particulier de l’avenue d’Iéna. Au début de la seconde guerre mondiale il s’installe à Lisbonne où il séjournera à l’hôtel Aviz jusqu’à sa mort en 1955. Le musée Calouste Gulbenkian de Lisbonne spécialement construit pour abriter sa collection sera inauguré 14 ans plus tard en 1969.
La scénographie de l’Hôtel de la Marine s’attache à recréer une ambiance intime telle celle de l’appartement de l’avenue d’Iéna. Les objets sont présentés dans des vitrines et les tableaux et textiles sont accrochés aux murs. Si la collection privilégie les œuvres de René Lalique (plus de 200 pièces, voir ci-dessous) et témoigne de la passion de Calouste Gulbenkian pour les arts décoratifs français du XVIIIe, elle est aussi et surtout à vocation universelle. Avec cette cohérence toute particulière qui vient du dialogue harmonieux entre l’Orient et l’Occident. Une choix qui est lui même le reflet des origines familiales de Calouste Gulbenkian entre la Cappadoce et Constantinople, deux terres d’intenses brassages religieux, culturels, et de civilisations.
Marie-Pierre Sensey
« Modernités portuguaises », Maison Caillebotte, 8 Rue de Concy, 91330 Yerres. Jusqu’au 30 octobre 2022
« Gulbenkian par lui même : dans l’intimité d’un collectionneur » Hôtel de la Marine, dans les espaces de la collection Al Thani, 2 place de la Concorde, jusqu’au 2 octobre 2022 (La délégation française de la Fondation est un acteur majeur de la «Saison France-Portugal 2022» qui a rassemblé et soutenu 200 projets soit plus de 480 événements dans 87 villes en France et 55 au Portugal
Photos: ©MPS
(1) A propos de la propriété Caillebotte dans Les Soirées de Paris (2015)
Puis en sortant sur la droite le salon de thé offre le cadre pour échanger sur les impressions de l’exposition. Prenez le temps de découvrir les platanes orientaux au bord de la rivière