Parfums de Chine et d’industrie

En face de cet autre confluent qu’est celui de la Marne et de la Seine se trouve un complexe hôtelier qui fit beaucoup murmurer lors de l’achèvement de sa construction il y a trente ans. Calqué dit-on sur la Cité interdite de Pékin, Chinagora fit peu à peu figure de palais abandonné avant d’être repris par la province chinoise du Hunan afin de transformer l’ensemble en hôtel de luxe. Mais il y eut une période et même aujourd’hui encore vu de l’autre rive, où ce complexe n’était pas sans rappeler ces mirifiques palais à la sauce Hayao Miyazaki où la nuit tombée des nefs scintillantes viennent déposer d’étranges fantômes pour d’improbables messes païennes. Dans cette banlieue d’Alfortville, garnie de maints vestiges industriels, cela valait la peine d’y jeter un œil et même les deux. Impliquant une vaste boucle piétonne partant du métro Porte d’Ivry, un point de départ très peu pratique mais qui a l’insigne avantage de faire découvrir au visiteur une zone en perpétuelle mutation.

Peu pratique en effet puisque selon le GPS dont le moindre pékin est aujourd’hui équipé, il reste à la sortie du métro, 3,8 kilomètres à parcourir. Un parcours étonnant où toutes les époques se mêlent. Rurales avec des jardins plantés de vignes et ce à peine passé le périphérique, celles de l’entre-deux guerres où l’on peut, le doigt sur le déclencheur se prendre pour Doisneau, industrielles et pré-industrielles avec des usines en briques surmontées de longues cheminées et jusqu’à nos jours où les architectes s’emploient à intégrer leur talent dans un décor sans vraie cohérence, ce qui autorise à peu-près tout.

Ce bric-à-brac urbain a ceci de reposant qu’il est sans prétention et partant, à l’opposé de ces décors artificiels qu’à Paris l’on veut chargés de sens et de bien-disant climatique. Cependant que certaines enseignes démontrent que çà et là, les aménagements récents tendent de neutraliser le foutoir, le mettre aux normes de l’intelligence moderne. C’est donc maintenant qu’il faut en profiter, les lieux sont singulièrement bavards pour ceux qui savent ralentir le pas, lever le nez et s’intéresser à moult détails.

Comme cet immeuble de 1967, sans aucun équivalent alentour, baptisé « Les Terrasses de l’atelier de Montrouge ». Une plaque indique qu’il a été en 2003, inscrit à l’inventaire des monuments historiques, puis restauré en 2015. Son standing apparent est justifié peut-on lire, par la nécessité de loger des cadres de la centrale EDF, lesquels devaient effectivement se sentir à l’aise dans un environnement pour le moins prolétaire. Toujours sur l’axe qui conduit vers Chinagora, on croise aussi le vieil hôtel Gambetta, sur la place du même nom à Ivry. Là aussi, sur ce carrefour, des travaux d’aménagement sont en cours, neutralisant progressivement les parfums de naguère. Il faut savoir humer les effluves qui s’en vont, sans que l’on puisse encore spéculer sur ceux qui les remplaceront.

Après avoir rêvé depuis Alfortville à cette ample intersection produite par la fusion de la Marne et de la Seine, nuancée de sauce piquante, il est recommandé aux amateurs de paysages pas vraiment classés, de faire demi-tour par la rive gauche de la Seine, en précisant qu’ici le syntagme rive gauche n’a absolument pas le sens qu’on lui prête boulevard Saint-Germain. La dystopie tient le manche, surtout lorsque l’on veut passer rive droite par la Passerelle aux Câbles, taguée d’un bout à l’autre. Et qui offre une nouvelle vue sur Chinagora. Elle a été construite dans les années vingt par la centrale électrique d’Ivry. Sur cent trente mètres environ (voir ci-dessous), elle produit de par sa proximité avec l’à-pic, un vertige tout à fait supportable mais inattendu. Les cinéphiles se souviendront peut-être qu’on l’aperçoit dans le film « Le clan des Siciliens » sorti en 1969. Et elle nous emmène rive droite, au quai des Carrières, à Charenton-le-Pont.

De-là une piste hybride pour piétons et cyclistes permet de rallier Paris dans un univers toujours aussi peu policé entre la Seine et l’autoroute A4. Sur cet axe mince et pour peu que l’on braque le regard droit devant soi en ignorant le boucan produit par la circulation automobile, l’ambiance est presque bucolique et inviterait  au pique-nique. C’est d’ailleurs par-là que Henri Cartier-Bresson en 1938, a pris l’une de ses plus célèbres photos où l’on voit des gens partageant un repas, tournant le dos à son objectif. Juste en entrant dans Paris on peut aussi apercevoir ce qui reste de la gare frigorifique de Paris-Bercy. En état de délabrement avancé, elle fait partie de ces vieux machins que la nouvelle épopée urbaine abandonne quand elle n’a pas pu les transformer en lieu de culte voué aux nouvelles tendances écoresponsables. Et c’est parce que là aussi une histoire en toute fin de règne délivre d’infimes messages à celui qui veut bien les percevoir (pas les néo-cyclistes qui passent à tout berzingue), qu’il est encore temps d’en profiter.

PHB

 

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5 réponses à Parfums de Chine et d’industrie

  1. STEICHEN JEAN dit :

    Cher Philippe, je crois que « à toute berzingue » va encore plus vite …
    Bien cordialement,
    Jean

    • Cher Jean Steichen, je dispose d’un sauf-conduit de mon Larousse Culturel lequel mentionne que les deux orthographes du mot sont valables. Bonne journée à vous. PHB

  2. Joël Gayraud dit :

    En revanche, les « effluves » sont toujours du genre dit masculin !

  3. anne chantal dit :

    Une lectrice de l’après midi a beaucoup fréquenté la piste cyclable /piétonnière – ancien chemin de halage – le long de la Marne, pendant le confinement !
    Echappatoire sportif et tranquille, car l’A4 était vidée de son trafic bruyant, le printemps pointait le bout de son nez, et la police ne s’y aventurait guère pour demander l’attestation dérogatoire de déplacement ……..et poussez jusqu’à Maisons Alfort où l’église art déco Sainte Agnès vous étonnera …autant que Chinagora.
    Oui, j’étais à bicyclette, pas à pied .

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