L’âme de Joséphine

Plutôt que de se précipiter au château de Versailles où les touristes en foule (mais pas les Asiatiques) sont de retour, pourquoi ne pas profiter des belles journées de ce printemps parisien pour découvrir dans le calme le Musée National du château de Malmaison. L’endroit était même si tranquille à la mi-mai, en dehors de quelques touristes égarés, qu’on aurait pu se sentir invités par Joséphine elle-même. Si vous empruntez la voiture depuis Paris en direction de Rueil-Malmaison, ne vous tracassez pas trop pour les nombreux panneaux «Déviation géothermie», et réjouissez-vous d’apprendre que l’île-de-France met au point le plus grand réseau de chaleur géothermique d’Europe, en creusant partout dans le sous-sol. Malgré ces panneaux de déviation, on arrive sans encombre au domaine national par une longue allée étroite, débouchant sur une place donnant immédiatement une idée de ce qui se passe ici depuis longtemps. Cette place étant cernée de demeures privées anciennes ou récentes, qu’on devine élevées sur des terrains ayant appartenu autrefois au domaine, qui s’est trouvé bien morcelé au cours du temps.

C’est ce que l’on apprend en franchissant la grille d’honneur, en remontant la large allée de gravillons blancs bordée de massifs et en s’arrêtant sur la droite devant le panneau et le plan du domaine. On nous dit que Joséphine en fait l’acquisition en 1799, trois ans après son mariage avec Bonaparte, que Percier et Fontaine, architectes favoris de Napoléon, mettent au goût du jour le château remontant au XVIIème siècle et le parc de 60 hectares constamment agrandis, que la maîtresse des lieux prend un jardinier anglais, se passionne pour la botanique et les roses, élève une orangerie et une serre chaude. Car la Martiniquaise Joséphine de Beauharnais, amoureuse de fleurs exotiques et botaniste experte, fera construire la plus grande serre chauffée de l’époque, accolée au château de la Petite Malmaison, aujourd’hui séparé du domaine lors de l’un des nombreux lotissements du XIXe siècle (il semblerait qu’on puisse visiter cette propriété aujourd’hui privée).
À leur divorce en 1809, nous dit-on encore, Napoléon fait don à Joséphine du domaine. Elle y meurt le 29 mai 1814 et laisse à son fils, le prince Eugène, les châteaux et les 726 hectares «bientôt réduits par quelques ventes». Après diverses péripéties, l’ensemble en ruine, proche de la démolition, est sauvé en 1896, avec les 6 hectares de parc subsistants, par le financier Osiris. Puis restauré par lui «à grands frais» et offert à l’État en 1903 sous réserve d’en faire un musée napoléonien, qui ouvre en 1906 et se trouvera depuis soigneusement enrichi.

Il suffit de se rendre sur la droite dans le récent pavillon Osiris (ci-contre) pour découvrir l’odyssée de ce financier mécène juif bordelais Daniel Iffla dit Osiris, personnage extravagant, se répandant en dons philanthropiques les plus variés à travers la France et l’Europe. À vrai dire le bâtiment, élevé tardivement de 2003 à 2011, est assez austère, et la collection du grand homme assez réduite et plutôt hétéroclite. Mais justice est rendue au sauveur du domaine, qui mérite d’être mieux connu. N’est-ce pas grâce à lui que l’on peut se lancer ensuite à la recherche de l’âme de Joséphine en ses jardins et celle de Napoléon à Sainte-Hélène ?

Pas d’escalier pompeux sur la simple façade à deux étages flanquée de deux corps de logis symétriques. On entre de plain-pied dans les pièces à vivre, salon de musique, salon doré, salle de billard, salle à manger, immédiatement saisi par l’éclat des couleurs, l’état impeccable des meubles, de la décoration et des sols. Comme si Joséphine et Bonaparte venaient juste de passer commande à Fontaine et Percier pour la salle à manger, ou aux frères Jacob pour le salon de musique. Décor et teintes pompéiennes à la mode du Premier Empire, dans une gamme subtile de vert et ocre rose bien mat, résonnent avec le sol en damier de marbre noir et blanc. Atmosphère à la fois simple et raffinée, évoquant une demeure champêtre plutôt qu’un château, les pièces n’étant pas immenses mais de proportions justes et élégantes, et comme elles sont traversantes, on peut apercevoir de tous côtés le ciel, les arbres et les champs. D’ailleurs le jour de ma visite, une petite fille, venue là avec sa maman et son petit frère, s’est assise de pièce en pièce pour dessiner sur son cahier des fenêtres en contre-jour. Elle ne dessinait rien d’autre, allant de fenêtre en fenêtre, ne s’intéressant qu’à l’âme des lieux c’est-à-dire la nature, et pas même aux aériennes silhouettes romaines courant tout du long sous le plafond de la fameuse Salle de la frise pompéienne au premier étage, ou encore, toujours à cet étage, aux lourdes draperies de soie blanc beige enveloppant la chambre de l’Empereur ou de celle de Joséphine.

La visite se poursuit au second étage mansardé où l’on peut, depuis décembre 2017, tout apprendre sur Napoléon en exil à Sainte-Hélène : vie quotidienne dans ses résidences de Longwood et Briars, emploi du temps, jardinage, chambre mortuaire de l’Empereur, et culte post mortem. Mais il est temps de se rendre dehors à la rencontre de l’âme même du domaine, là où Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, dite Joséphine de Beauharnais (nom de son premier mari), n’a cessé de se livrer à sa passion : aménagement du parc en jardin anglais, plantes rares et exotiques dans sa serre chaude de 50 mètres de long, où sont cultivées pour la première fois en France, paraît-il, le magnolia pourpre, la pivoine arbustive, l’hibiscus, le camélia ou le dahlia. Elle demandera au célèbre illustrateur Pierre-Joseph Redouté, nommé peintre des fleurs de l’Impératrice en 1805, de réaliser 120 planches des plus belles fleurs de la Malmaison, et incitera même l’artiste à entreprendre l’ouvrage sur les roses qui le rendit célèbre (ce qui répandra la fausse rumeur de la roseraie de la Malmaison, les roseraies n’apparaissant qu’à la toute fin du XIXème siècle).

En parcourant les allées du parc, par une belle journée à peine troublée par quelques touristes, on peut se croire revenu au temps de Joséphine, car pour respecter son désir d’alors, on a laissé partout pousser les graminées. Et on se dit qu’elle n’était en avance que de deux siècles sur son temps…

Lise Bloch-Morhange

Avenue. du Château de la Malmaison, 92500 Rueil-Malmaison

Photos: ©LBM

 

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3 réponses à L’âme de Joséphine

  1. Gérard Capelle dit :

    Les touristes c’est les autres.

    • Lise Bloch-Morhange dit :

      Bien sûr, vous avez raison, mais l’atmosphère et la perception sont différentes si on se trouve au milieu d’une foule… la petite fille n’aurait pas pu dessiner les fenêtres en contre-jour, pièce après pièce, si elle avait été prise dans la foule, perdant son moyen à elle de prendre possession du lieu…

  2. KRYS dit :

    La Malmaison, une si belle maison …. Grâce aux talents d’écriture de madame Lise, ce petit palais impérial caché dans la banlieue ouest risque d’être envahi par des hordes de touristes et nous allons perdre le bonheur d’écouter presque seuls le vent jouer dans les herbages, comme il y a deux siècles. La Malmaison, chut, chut, il me semble qu’elle est toujours fermée…

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