Déguster un filet de truite finement saisi face à un menu orné d’une célébrissime photographie de Henri Cartier-Bresson, voilà ce qui attendait, la semaine dernière quelques spécimens de la presse française importés en Suisse depuis la France. Qui plus est à l’endroit même où deux millénaires plus tôt, l’armée romaine livra un combat auquel César en personne consacra un chapitre dans « La guerre des Gaules ». Depuis Octodure, (huit portes littéralement) est devenue une aimable bourgade du nom de Martigny, dans le Valais suisse. L’endroit en lui-même aurait déjà un certain intérêt vu son lointain passé et les quelques vestiges qui en témoignent, mais il est en outre complété d’une fondation, la fondation Gianadda laquelle se consacre généralement à l’art et, depuis quelques jours et pour quelques mois encore, à l’œuvre photographique de Henri-Cartier Bresson (HCB), monument certifié du genre argentique et habitué du lieu. Tout cela méritait amplement de se lever à l’aube afin de s’y rendre en train.
Cette expo est le résultat d’une amitié triangulaire entre HCB, Sam Szafran et Leonard Gianadda, le patron du lieu et par ailleurs mécène aux poches généreuses. Lorsque Cartier-Bresson (1908-2004) voulut prendre un peu de distance pour se (re)mettre au dessin, il fit appel à l’artiste Sam Szafran (1934-2019) bénéficiant ainsi de sa science des perspectives. De ce compagnonnage ont résulté des dizaines de tirages dédicacés du premier vers le second et c’est ce qui donne en l’occurrence une spécificité à l’exposition en cours. C’est donc l’occasion de refaire tout un cheminement visuel à travers un objectif luxueux de Leica, en suivant les pérégrinations du photographe en France, mais aussi en Afrique, au Mexique ou en Inde et sans compter quelques grands portraits de peintres comme Matisse, Giacometti ou Picasso. L’opportunité également de faire -sans jeu de mots- tomber quelques clichés qui collent à la réputation du photographe, comme la prise de vue unique et décisive ou encore le tabou du recadrage. Les archives ayant parlé, il y a bien eu parfois plusieurs prises de vues tandis que la fameuse photographie montrant un homme en train d’enjamber une flaque d’eau derrière la gare Saint-Lazare a fait l’objet d’un recentrage adroit. Des « révélations » qui ne gâchent rien tant le travail de post-production d’un photographe fait (tout comme au cinéma) l’objet s’il y a lieu, d’un affinement. Seul le résultat compte et s’agissant de HCB, on ne peut évidemment que s’incliner devant son instinct face à une scène donnée, celui qui déclenche l’obturateur. C’est encore plus vrai aujourd’hui où, grâce aux filtres et techniques variées, l’effet a tendance à primer sur le sujet.
Depuis un peu moins de cinquante ans, la fondation Gianadda anime cette paisible vallée suisse qui produit par ailleurs un fort raffiné vin blanc. Enceinte de béton moderne construite sur un ancien temple celte, elle est entourée d’un large parc, lui-même garni d’œuvres contemporaines avec des signatures remarquables comme César (1921-1998) et sa coupole de bronze figurant un sein féminin, ou encore Robert Indiana (1928-2018) avec son « Love » (ci-contre) bien représentatif du pop-art yankee. Ici, même les canards de la pièce d’eau affichent un air distingué (et même distancié) face aux moutons sculptés qui les observent.
Quant au maître des lieux, homme de grand format à tout point de vue, il a informé ses visiteurs que son métier de mécène allait se poursuivre en faisant couler, à la fonderie de Coubertin (Yvelines), une sculpture inédite de Victor Hugo par Rodin destinée à sa fondation, mais aussi à la ville de Besançon, la ville où il est né en 1802. Très surprenant travail puisque Hugo se présente dans toute sa nudité, sans occulter aucun détail anatomique. Le tout étant censé représenter la passion et l’affliction du grand homme contraint de s’exiler à Guernesey. Ce n’est pas tant que la nudité de nos jours puisse étonner, mais s’agissant de Victor Hugo, il y a comme un cap psychologique à franchir si l’on veut bien imaginer des statures comparables, tel de Gaulle, dans une posture semblable. Mais le vin blanc du Valais a cette qualité parmi d’autres, qu’il rend celui qui l’ingurgite lentement, de plus en plus disposé à accueillir favorablement l’inattendu.
PHB
Victor Hugo à poil, passe encore !
Mais pas sans sa barbe !
juste pour ajouter :
Leonard Gianadda fut invité à Albi pour exposer dans les jardins Palais de la Berbie
car lui même est photographe. un catalogue de ses images fut édité à cette occasion.
j’en profite pour vous remercier de nous envoyer tous les matins de beaux sujets toujours très bien référencés et écrits !
Léonard Gianadda fait toujours des expositions inspirées. C’est là que j’ai découvert et apprécié l’art de Balthus, son voisin.
Je vois que les canards sont toujours dubitatifs quant au regard hautain des moutons de François-Xavier Lalanne.
Bonne journée.
Une toute petite remarque de forme : »de ce compagnonnage ont résulté des dizaines … » serait plus correct, je crois.
Cordialement
Vous avez raison, merci à vous. PHB