Le baiser consiste à toucher une personne avec les lèvres grâce aux muscles orbiculaires de la bouche. L’endroit cible du corps d’autrui reste à l’initiative du déposant. Soucieux de ne pas mélanger les torchons et les serviettes, les anciens Romains disposaient de trois termes distincts, fonctions des circonstances. Le premier, basium, s’adressait au cercle familial, le deuxième, osculum, visait l’environnement social, le troisième, suavium, avait une connotation sensuelle. Nous pourrions traduire basium par poutou, osculum par bise, suavium par patin. Le Kamasutra identifie le patin comme un classique de l’érotisme hindou. Certaines estampes de la période Edo attestent de son usage au Japon dans les ébats amoureux. Les stages au Royaume Uni ou les programmes Erasmus permettent aux étudiants ou aux étudiantes d’Europe de constater sa pratique dans l’ensemble du continent, et quiconque élargit son expérience de par le monde en vérifie l’universalité. On parle alors de séjours linguistiques, le patin classique se réalisant en préliminaire par entrecroisement des appendices linguaux des partenaires.
Il prélude généralement aux frottements muqueux censés conduire à l’orgasme. Que ce soit entre mâle et femelle, ou chez les homobitrans. Il intervient au début d’une histoire tout de suite après le premier effleurement des mains. On le considère alors comme une sorte de ticket d’entrée La médiocre qualité de cette prestation initiale a comme conséquence l’interruption définitive du processus de séduction. Sa réussite permet d’envisager des suites favorables, sous la réserve d’être assez subtil pour décrypter l’existence d’un acquiescement réciproque. En tout état de cause, il ne gagne rien à être forcé, si ce n’est de se voir qualifier de harcèlement sexuel, fait prévu et sanctionné par l’article 222-33 du code pénal. L’exercice imbriquant, papilles à l’endroit papilles à l’envers, les langues des partenaires est dénommé par les anglo-saxons french kiss. L’histoire n’a malheureusement pas retenu les noms de la Française et du Français ayant roulé cette galoche fondatrice. Mais la méthode a prospéré sous toutes les latitudes. Excepté, peut être, chez les Esquimaux, qui, comme chacun le sait, se frottent le bout du nez. Et le poète a chanté «cet instant d’infini qui fait un bruit d’abeille».
Bien que la posture soit apparemment similaire, le patin ne doit pas être confondu avec le baiser fraternel socialiste, forme particulière de salutation entre personnages des anciens États communistes. L’un d’eux est resté dans l’histoire, échangé, le 5 octobre 1979, lèvres à lèvres, par les camarades Leonid Brejnev, principal dirigeant de l’URSS et son homologue Erik Honecker, chef de la République Démocratique Allemande, à Berlin (Est). Différence majeure, il n’est jamais suivi du simulacre de l’acte de reproduction.
Le poutou s’avère moins propice au lyrisme que le patin. Il se place, la plupart du temps, sur la joue, au sein du cercle familial, entre frères et sœurs, avec les père et mère, grand-pères et grand-mères, ou la tante Eulalie, dont le menton pique. Il témoigne des liens forts et étroits existant au sein de la parentèle, peut s’étendre en cas de famille recomposée. Une carence marquée dans l’enfance, principalement côté maternel, est susceptible de se traduire, à l’age adulte, par une présence régulière sur le divan du psychanalyste.
Enfin, la bise…. Elle aussi vise la joue. La coutume, à notre époque, semble avoir pris naissance dans la tribu du show-bizenèce, dans la mouvance Peace and Love. Les milieux des médias ont suivi. Puis les hommes et femmes politiques. Elle s’est répandue en entreprise dans les années 1990, entre salariés des différents genres. Dès l’arrivée le matin sur le site, aux alentours de la machine à café, dans la salle de pause. De manière presque réflexe, le fléau prolifère également aux premiers de l’an, aux retours de vacances, pots de départ, festivals et congrès des forces de vente. La bise est censée produire du lien social. Mais également de la reluctance (opposition au passage d’un flux magnétique, ndlr). Car, souvent forcée et intrusive, il est difficile de s’y soustraire sous peine de passer pour un malotru. Il en est cependant qui en raffolent. Elle se partage donc entre collègues, au bureau, au gymnase, avec les membres de la loge du Cancrelat Égalitaire, selon le rite écossais. Elle expose parfois aux défauts du vis-à-vis, parfum trop capiteux, haleine de putois, peau de crotale, lèvres de limace. À l’inverse du patin, la bise ne bénéficie pas de l’aveuglement libidinal. Son protocole reste fluctuant : par quelle joue débuter ? Combien convient il d’en faire ? En dehors des Francs Maçons, ou c’est trois en commençant par la gauche, tout va dépendre de l’endroit, de la classe sociale, des circonstances. Avec le risque d’un impitoyable rappel à l’ordre «chez nous, c’est quatre !», suivi de l’obligation de s’acquitter du supplément.
Dans son épître aux Corinthiens (16 :20), l’apôtre Paul recommandait aux fidèles l’osculum pacis (baiser de paix) lors de leurs rassemblements. Certains en ayant sans doute profité pour tenter de pousser leur avantage, le concile de Carthage (397) le prohibera entre hommes et femmes. La liturgie catholique modifiée en 1969 le réintègre, pendant la messe, facultativement, sous forme d’une salutation. Les Églises réformées en ont conservé l’usage. Cette bise ne saurait s’apparenter à celle donnée au Christ par Judas, au jardin des oliviers (Matthieu 26 :36-56).
De plus en plus, nombre d’individus avaient pris l’habitude de se claquer la bise, à propos de tout et de rien, quand soudain le virus SARS-CoV-2 s’abattit sur le globe. Conscientes de leur devoir, nos autorités de santé leur intimèrent l’obligation d’avoir à respecter les gestes barrières. Lesquels, de distanciation physique, devinrent une distanciation sociale, mettant temporairement fin au totalitarisme de la bise sous contrainte. À quelque chose malheur est bon ! Les réfractaires bénéficient désormais d’un alibi incontournable, sans avoir à passer pour un asocial ou une bêcheuse. «Alors, on s’fait la bise ?»… «J’peux pas, j’suis cas contact !».
Jean-Paul Demarez
Délectable !
Pour prolonger le plaisir, je conseille « Petit éloge du baiser » de Jérôme Attal (Les pérégrines).
Bravo!
Pas très loin du baiser Brejnev, il y a aussi le « baiser de la mort » entre mafieux…
Je vous conseille de revoir « Cosa Nostra », le film de Terence Young… et vous verrez sans doute le baiser le plus viril de l’histoire du cinéma : celui qui unit un instant Lino Ventura et Charles Bronson…
Mais bon, il y a aussi des baisers cinématographiques qu’on envie et qui déçoivent : Tony Curtis, pas très beau joueur, n’a-t-il pas oser dire qu’ « Embrasser Marilyn Monroe c’était comme d’embrasser Hitler ? »
On se souvient que le Corona virus a explosé lors d’un « rassemblement évangélique de l’Église Porte ouverte chrétienne du 17 au 21 février à Mulhouse. Il avait réunit, durant cinq jours, de 2 000 à 5 000 personnes, essentiellement françaises, mais aussi des Belges, des Allemands et des Suisses. Considéré comme l’un des foyers épidémiques majeurs de propagation du virus en France, plus d’un millier de fidèles y ont été contaminés. » nous dit Wikipédia. Et je crois me rappeler que ces fidèles avaient pour habitude de s’étreindre pendant l’office.
Le concile de Carthage avait peut-être raison.
Bonne journée
Et que dire de la fellation et du cunnilingus ? Aucun risque de contamination au Covid19!…
oh oh No comment !
Sans oublier que le baiser fait parti du rite d’adoubement des chevaliers…