Le sens du trône, de l’art et du secret

Même dans nos sociétés modernes, la marque du chef perdure autour de son séant. Que l’on soit ministre, préfet, sous-préfet, un PDG ou simple chef de service, la position hiérarchique se caractérise par un siège distinct des subordonnés, des administrés, des sujets. Cette réflexion peut ainsi monter à l’esprit du visiteur devant la toute nouvelle exposition sur les chefferies du Cameroun au musée du Quai Branly. À l’instar de cet extraordinaire trône entièrement perlé du 19e siècle, représentant un roi assis avec une chevelure de plumes comme dressée par la foudre. Ce chef-d’œuvre (ci-contre) est considéré comme un « emblème de la force et de la vitalité de Notuégom, fondateur de Bandjoum ». Il a été exposé à Paris en 1962, à Dakar en 1966 et à Marseille en 1993. Sa rareté vaut à elle seule le déplacement. L’Afrique et incidemment le Cameroun, nous renvoient ainsi à nos propres symboles.

L’idée générale est de présenter l’art des communautés implantées sur les hauts plateaux des Grassfields, à l’Ouest et au Nord-Ouest du Cameroun. Entre la fin du 16e et du 18e siècle, nous est-il expliqué, de nombreux royaumes se créent, assurant jusqu’à nos jours, « le lien entre le monde des vivants et celui des ancêtres », fonction que l’on retrouve un peu partout dans la signalétique tribale du continent africain. Il en résulte une chefferie proprement dite, dont l’organisation nous est livrée ici. Elle se singularise donc par ses trônes, le maintien d’un certain ordre social, mais aussi par l’art et la constitution de sociétés secrètes, un genre de contre-pouvoir comme il en existe sous d’autres formes dans notre monde occidental. Ce faisant aucun objet, aucune structure ne sont anodins, qu’il s’agisse d’un pilier sculpté de la maison du chef, d’un totem, d’une forge ou encore d’une fresque.

Les arts des Grassfields, par leur richesse, leur inspiration bien souvent hypnotique, méritaient une exposition et plus encore cette scénographie bien faite. Car l’art est là-bas, sous cette latitude équatoriale, un instrument insigne du pouvoir. Et c’est bien la notion de domination qui filtre de chaque symbole y étant lié. Il nous est même raconté que la femme est au cœur de cette suprématie. Parce qu’elle est notamment « garante de la lignée (…) gardienne du culte », la mafo, mère ou parente du chef, s’implique dans la vie de l’exécutif, y compris auprès des sociétés secrètes.

Ces dernières, associations coutumières dénommées mkem peuvent être comparées à des « rouages » sur lesquels s’appuient le chef. Elles sont constituées de notables initiés, équipés de masques et de costumes spécifiques. Elles sont puissantes, leurs rites et leurs pratiques demeurent secrets, à rebours de notre sacro-sainte transparence. Elles sont l’émanation du visible et de l’invisible (sous-titre de l’exposition) et pratiquent des danses que les profanes peuvent découvrir lors de grandes cérémonies. Elle sont là pour conforter le pouvoir et il est évidemment tentant de chercher des parallèles avec le fonctionnement de nos démocraties. C’est là toute la force intellectuelle de ce qui nous est donné à voir. Nous sommes amenés à réfléchir, et c’est bien à cela que l’on reconnaît une exposition de bon niveau. Tout ce qui nous élève est toujours bon à prendre y compris avec les œuvres contemporaines -remarquables- qui sont livrées à notre curiosité affamée. Le musée a rassemblé sous son toit vingt-cinq chefferies avec des noms totalement hermétiques comme Babungo, Balatchi ou encore Bangoulap.

Chacun des 270 objets composant la scénographie nous transmet des données parfaitement inconnues de nos cultures. Leur cheminement dans notre cerveau produit des effets variés comme si l’on goûtait des substances étrangères. Lesquelles choquent dans le bon sens du terme nos imaginaires habitués à d’autres images. Qui nous fascinent et nous subjuguent d’autant plus facilement que, saturés d’explications et d’analyses en tout genre, nous adhérons à ce qui ne se donne pas clés en mains. Tel ce masque-cagoule (ci-contre) de la chefferie Balatchi, composé de bois, de tissu et de perles. La date est inconnue, la signification non précisée et son regard n’en est que plus captivant. On ne peut que s’incliner devant ces mystères qui font bien de rester des mystères. Car ils font diversion. À la fin des fins, lorsque qu’une civilisation différente de la nôtre tombera sur un banal épluche-légumes, sorti de terre, elle pensera peut-être à un objet rituel de quelque société secrète, un instrument de pouvoir d’une humanité qui n’aurait rien laissé d’écrit, permettant d’en percer l’utilité précise. Nous sommes des initiés qui nous ignorons en tant que tels.

PHB

« Sur la route des chefferies du Cameroun, du visible à l’invisible », jusqu’au 17 juillet, Musée du quai Branly-Jacques Chirac

N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Le sens du trône, de l’art et du secret

  1. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Dans la veine de votre message, un livre qui plaît aux enfants…et aux parents :
    la civilisation perdue : naissance d’une archéologie
    David Macaulay
    Deux coqs d’or

Les commentaires sont fermés.