Gabin le magnifique

La musique du Clan des Siciliens (celle de Ennio Morricone), nous revient inévitablement en tête devant l’affiche où Gabin était entouré de deux autres stars, Alain Delon et Lino Ventura. Plus étonnante est la déclinaison de cette même affiche, en version américaine, japonaise et tchèque. C’est là le grand intérêt de cette exposition sur Jean Moncorgé alias Gabin (1904-1976), organisée au sein de l’Espace Landowski à Boulogne-Billancourt. Elle n’épuise pas le sujet mais tout de même, on peut dire qu’elle l’essore, et pas seulement avec des affiches. Pour qui voudrait en « bouffer », il y a là, au quatrième étage et sur 700 mètres carrés, l’équivalent d’un buffet de fête. Ses chapeaux, ses pipes, ses briquets, sa malle militaire, ses effets de soldat, certains costumes usés par le temps, ses photos de prime jeunesse, des extraits de films: à coup sûr, le visiteur sortira rassasié. Et en conclura vite qu’il nous manque, démentant l’adage idiot selon lequel personne n’est irremplaçable.

Le narratif a été maintes fois diffusé, on croit tout savoir de lui, mais l’histoire détaillée de Gabin nous rappelle certaines choses que l’on avait oubliées ou certaines anecdotes que l’on ne connaissait pas. Du petit enfant grandi sur les bords de l’Oise à Mériel, en passant par Boulogne-Billancourt où il rendait visite à son grand-père, de ses débuts aux Folies Bergère, puis lorsqu’il prend en marche le cinéma parlant et même chantant, l’itinéraire d’avant-guerre est déjà passablement copieux. En 1939, c’est déjà une star. Avec le déclenchement des hostilités, il part à Hollywood. Où il comprend d’une part qu’il n’y est pas à sa place et que, d’autre part, il veut servir son pays, ne surtout pas passer pour un planqué. Mais au moment de traverser l’Atlantique, il reçoit un message émanant du cabinet du Général de Gaulle, le priant de rester sur place afin de tourner un film de propagande: « L’imposteur », de Julien Duvivier, « censé inciter les Américains à s’engager ».

Une fois sa mission cinématographique accomplie, il persiste et s’engage dans les Forces Navales Françaises Libres. Une large notice nous raconte qu’en janvier 1944, il monte sur un navire, l’Elorn, en direction d’Alger, essuyant au passage ses premiers feux ennemis. En 1945, il rejoint la deuxième division blindée du Général Leclerc afin de participer à la campagne d’Alsace à bord d’un char, avant d’aller libérer la poche de Royan. Sur une photo exposée, c’est bien le soldat et non l’acteur qui pose devant un tank à côté de ses équipiers. Il poussera l’expédition jusqu’au nid d’aigle de Hitler à Berchtesgaden. Cet épisode de guerre le marquera au point de ne plus jamais vouloir jouer le rôle d’un militaire. Ce qui peut se comprendre. Alors que truand, flic, banquier ou juge, baron déclassé,  là il pouvait se permettre d’étaler toute la puissance de son talent, que l’emploi soit dramatique ou génialement comique. Notamment, dans ce dernier cas, quand son dialoguiste préféré (Michel Audiard, dès 1955), s’en mêlait.

C’est bien vrai que les répliques d’Audiard lui allaient comme un gant. Mais il pouvait également citer Apollinaire (1) avec une diction et une inspiration tout à fait remarquables. Sur la dernière chanson (enfin à peine chantée) qu’il interpréta, il concluait avec mélancolie que « La vie, l’amour, l’argent les amis et les roses/On ne sait jamais le bruit ni la couleur des choses/C’est tout ce que j’sais/Mais ça, j’le sais ».

Si l’exposition sur Gabin se déroule à Boulogne, ce n’est pas seulement en raison de ses visites à son grand-père. Mais c’est aussi parce que sur les quelque cent films à son actif, 26 l’ont été aux fameux studios de Boulogne, tels « Le tatoué » ou « Archimède le clochard ». Les studios de Boulogne, à la réputation un peu oubliée de nos jours, avec ses huit plateaux sur un peu plus d’un hectare, ont connu après-guerre, une activité intense due aux accords Blum-Byrnes destinés à favoriser l’importation des films américains. Gabin y croisait, nous explique-t-on, des stars comme Burt Lancaster ou Tony Curtis. Quel chemin le gamin de Mériel n’avait-il pas accompli avant de devenir vers le bout de sa vie, un gentleman-farmer, en Normandie, sur un très vaste « plateau » de 300 hectares.

L’envie qui vient au visiteur, devant les costumes qu’il a pu porter tout au long de sa vie, est d’aller en fouiller les poches. On ne sait jamais, un vieux ticket de cinéma, de métro, un jeton de téléphone, bref de quoi rêver encore, au moment-même où la guerre est à nouveau aux portes de l’Europe. Il y était allé à la guerre, il en était revenu, l’honneur était sauf, l’affront lavé, il avait bien gagné son retour sous les projecteurs, devant la caméra des opérateurs.

PHB

« Jean Gabin, l’exposition », Espace Landowski, 28 avenue André-Morizet, Boulogne-Billancourt, métro Marcel Sembat, jusqu’au 10 juillet

(1) Relire « Les trois intersections de Jean Gabin avec Guillaume Apollinaire »

PS: on ne saurait trop recommander à nos lecteurs qui feraient le déplacement, d’aller ensuite visiter les collections permanentes du Musée des années trente. Sur deux étages, est disposé tout un trésor art-déco, dont l’élégance, elle, n’a pas malheureusement pas franchi le cap de l’après-guerre.

Photos: ©PHB
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2 réponses à Gabin le magnifique

  1. Philippe PERSON dit :

    Je sais… La seule chanson de Gabin, Philippe ?
    Non… Il a commencé au music-hall et dans les années 1930, il a beaucoup chanté au cinéma. J’ai un double CD de titres de Gabin (avec un disque des enregistrements de son père) Pêle-mêle : Viens Fifine, La Môme Caoutchouc (chanté aussi par sa copine Fréhel) et l’inoubliable « au bord de l’eau » de la Belle équipe… Ah j’oubliais : Avec ma p’tite gueule…

    • Vous avez raison, c’est une erreur qui est présente dans le dossier de presse (« seule chanson qu’il ait jamais enregistrée »). En 1938, il y avait eu « quand on se promène au bord de l’eau ». J’aurais dû vérifier, je vais corriger, merci. PHB

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