Parents ne vous fiez pas à l’affiche de la Maison du Danemark incitant à une visite au « Royaume des clowns ». Ce n’est pas pour les enfants. Même l’un des deux commissaires d’exposition interrogé, n’a pas bien su justifier le titre de cette scénographie toute récente d’art contemporain, son acolyte évoquant plutôt une « farce perverse ». L’espace « Bicolore », sis au deuxième étage de la Maison du Danemark, est bien dévolu à l’art contemporain et cette exposition sur le « Royaume des clowns », n’a certes pas de quoi faire rigoler des âmes trop jeunes. En témoigne par exemple cette maison-jouet en plastique (Henrik Plenge Jakobsen, 1998) complètement dévoyée de sa destination première puisqu’elle est reliée à une bonbonne de protoxyde d’azote. Le tout étant destiné à « dénoncer l’injonction du bonheur ». Si l’art contemporain nous a depuis longtemps habitués à aller d’étonnement en étonnement, cette exposition ne le trahit pas, en garnissant la grande pièce d’œuvres pour le moins déconcertantes.
Ne froncez ni le nez ni les sourcils chers lecteurs des Soirées de Paris mais, au contraire, ouvrez bien grand vos chakras, notamment devant le film de Ursula Reuter Christiansen, « Three girls and a pig ». Réalisé en 1972, il présente la réunion de trois femmes grimpant dans un lit avec un petit cochon. Elles le caressent, le dorlotent et le rassurent. Et pour cause, puisqu’elles vont l’émasculer. Nous avons demandé à l’un des commissaires de nous en dévoiler le propos, car rien ici n’est parfaitement évident. Il nous a expliqué que l’objectif de l’auteur était de « dénoncer un contexte hétéro-patriarcal », avant de nous préciser que certes, le porcelet a été castré pour de vrai, mais que ce n’est pas bien grave puisque par ailleurs l’industrie agro-alimentaire le fait déjà à grande échelle. Il serait donc sot de s’en offusquer, laisse-t-il sous-entendre. Juste à côté, une scène d’onanisme féminin en mode cybernétique, est censée s’approprier un monopole réputé masculin. Nous sommes assez loin des aventures du « Père Castor », on l’a bien compris. Si quelques visiteurs s’égarent ici avec leur progéniture, ils auront c’est sûr, bien vite les cheveux dressés sur la tête avec des hallucinations en forme de carré blanc, ce signal qui apparaissait sur les écrans de télé du temps de l’ORTF, afin de déconseiller le visionnage d’un film aux mineurs.
Non, nous sommes là davantage dans un lieu fait pour les esprits évolués à même de percevoir des démarches aussi fortes que subtiles et visant « à faire vaciller les ordres, les normes et les figures établies ». L’immense clown gonflable qui envahit une bonne partie de la scénographie est, si l’on a bien compris et sous réserve de meilleure expertise, voué « à faire chanceler le réel ». Nous chancelâmes, messieurs les commissaires, nous chancelâmes, car ce n’est pas tous les jours que l’on peut profiter de cette belle opportunité de conjugaison.
Dans son film de 2013, « La grande Bellezza », Paolo Sorrentino, se moquait gentiment de l’élite intellectuelle romaine, avec comme personnage principal, une figure désabusée interprétée par l’excellent Marco Antonio Servillo. L’une des scènes le montre assistant à une performance artistique consistant pour une femme à courir se fracasser la tête contre le pilier d’un aqueduc. Missionné par un magazine pour en faire une chronique, Jep Gambardella interroge mais vainement l’artiste après-coup, afin de comprendre (et donc de mieux restituer) la signification du sacrifice. On y pense, quelle coïncidence, en parcourant ce lieu de la Maison du Danemark, laquelle expliquait dans un dossier de présentation et en se référant au philosophe Kierkegaard, que « l’humour habité par l’idiotie » contient « une vertu salvatrice ». Et que cette idiotie, développe un certain Julian Luxford, « est donc conjuratoire face à notre horizon commun, car au royaume des Hommes, nous finissons tous triviaux et nus comme des asticots que l’on soit valet, clown ou roi ». Incontestable.
À se demander si c’est cette « farce perverse », n’est pas au fond destinée à nous prendre pour des billes (de clown). Comme l’écrivait Louis Aragon dans son « Traité du style »: « La légende selon laquelle les clowns viennent d’Angleterre ou d’Allemagne s’est trouvée fausse. Il s’en est levé à revendre de chaque sillon béni du sol français. » Et c’est vrai que de ce côté là, dans l’hexagone, nous sommes bien armés.
L’ambition de l’espace « Bicolore », nous rappelle-t-on à toutes fins utiles, est « de faire comprendre, catalyser et refléter les dynamiques créatives du Danemark » tout en créant des « expériences mémorables » censées éveiller « la curiosité » envers le pays. C’est bien tenté.
PHB
On peut rire d’absolument tout, mais pas avec n’importe qui disait Woody Allen. Les « oeuvres d’art » que vous nous signalez, cher Philippe, n’échappent pas la règle et me rappellent ce camp de concentration en lego imaginé par Zbigniew Libera dans les années 90. (lien ci dessous)
Parfois je crois que j’oublie mon sens de l’humour.
Il y a toujours quelque chose de pourri au Royaume du Danemark… Las, Pauvre Yorick… qui était un clown lui aussi…
Pour l’histoire de « on peut rire de tout mais pas avec tout le monde », je crois que c’était du Desproges. Une formule qu’il avait utilisé au Tribunal des Flagrants délires le jour de la venue de Jean-Marie Le Pen… qui avait bien ri des blagues de Desproges et Rego…