Il est tout de même assez rare que le contenant d’un livre honore à ce point son contenu. Découverte fortuitement à la bonne librairie parisienne Delamain, cette toute récente collection s’intitule « Les Plis ». Et pas par hasard, puisque chaque ouvrage, traduit de l’italien, est fait pour être expédié, avec un emballage ad hoc comprenant une place pour l’affranchissement. La maison L’Orma, dont le siège se trouve à Rome, a déjà à son actif une vingtaine de livres présentant un échantillon de lettres d’écrivains, penseurs, intellectuels, musiciens, philosophes, allant d’Apollinaire à Stendhal en passant par Gramsci, Poe, Verdi, Mary Shelley ou encore Virginia Woolf. Ils sont à la fois une porte d’entrée originale pour ceux qui ne les connaissent pas ou bien si l’on veut, un bel objet de collection pour les bibliophiles. En novembre 2021 est ainsi paru un volume sur Guillaume Apollinaire avec une chaude sélection de lettres à Lou, la femme qu’il aima passionnément alors qu’il était encaserné à Nîmes.
Il est titré « Je vais t’aimer d’une façon nouvelle », promesse énergique et mâtinée d’alcool de rose, que l’on retrouve dans une lettre postée en janvier 1915. Non seulement elle apparaît page 69, position sensuelle que Apollinaire exalte dans une autre missive, mais en plus, elle est signée « Gui qui te prend tout entière et te plie à volonté ». Le tout s’inscrivant donc dans un projet éditorial épatant et jusqu’au papier d’impression, orné c’est bien le moins, de quelques calligrammes choisis. La mémoire d’Apollinaire a bien été servie.
Sur le site de la maison d’édition est publié un entretien que le cofondateur de l’affaire, Lorenzo Flabbi, accorda en 2020 au média suisse RTS. C’était en plein confinement, le pire moment on peut le comprendre, lorsque l’on veut lancer une collection. Et il y est dit que l’éditeur se rendait à son bureau situé près du Colisée, uniquement pour y nourrir un couple de chatons en résidence, au sein d’une ville immobilisée par une épidémie. Toujours au micro de RTS, il déclarait alors: « Cette idée est née avec mon associé alors que nous vivions à Berlin. En constatant la tristesse de nos boîtes aux lettres qui ne contenaient que des factures ou des papiers administratifs, on s’est dit: qu’est-ce que ce serait bien de recevoir des mots intimes! ». ainsi sont nés « Les Plis ».
Même non reçus par la poste, les trois exemplaires acquis par Les Soirées de Paris aux portes du Palais-Royal, nous ont confortés dans le sentiment d’avoir fait bonne pioche. Par exemple en découvrant Antonio Gramsci, intellectuel communiste qui passa une bonne partie de sa courte vie (1891-1937) en prison, pour cause d’incompatibilité avec le régime fasciste. C’est par ailleurs un des avantages de l’ouvrage que d’être accompagné d’un avant-propos destiné à éclairer nos lanternes. Ce Gramsci qui pensait notamment qu’additionner culture et références, ne pouvait que « créer des désaxés, des gens qui se croient supérieurs au reste de l’humanité parce qu’ils ont amassé dans leur mémoire une certaine quantité de faits et de dates, qu’ils égrènent à la moindre occasion, comme pour ériger une barrière entre eux et les autres ». Dans ses lettres à ses enfants, à ses proches, Gramsci croyait davantage à l’étude, à la culture du discernement et à la réflexion, faute insigne qui fit dire au procureur chargé de son procès Michele Isgrò, dans ses réquisitions: « Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans. » Ce qui n’empêcha pas le condamné de publier ses « Cahiers de prison » dont « la portée fut majeure pour l’époque », selon l’auteur de l’avant-propos.
Le troisième ouvrage que nous nous sommes procurés concerne Henri Beyle, dit Stendhal (1783-1842). « Que la prudence est une triste chose », est-il titré à partir d’une lettre datée du 18 mai 1824, expédiée à Clémentine Curial. L’occasion de préciser qu’en plus de l’avant-propos, les textes sont parfois accompagnés de précisions salutaires (sans compter une brève biographie en points-clés à la toute fin). Ce qui nous permet de savoir que la Clémentine en question (1788-1840) avait eu l’heur de consoler Stendhal d’un dépit amoureux avec une certaine Metilde Viscontini Dembowski. Et que cette liaison lui avait inspiré son traité « De l’amour », publié en 1822. « Que la prudence est une triste chose » écrivait donc Stendhal et l’on comprend bien que la pusillanimité est un défaut qu’il attribue y compris à lui-même. Son style est nettement moins brûlant que celui d’Apollinaire mais on pourrait en conclure que le club international des mal-aimés n’ a jamais désempli. On pourrait aussi se demander comment Clémentine aurait pris la chose si Stendhal lui avait écrit, à l’instar d’Apollinaire: « Prie pour moi ma gosse adorée, afin que je supporte tout, je t’embrasse mille fois, baisant ton corps exquis, ta chair miraculeuse, ton cul de Houri, je t’aime mon Lou et te prends toute ». On imagine la réaction de la dame, allant du simple battement de cil au bref tressaillement de l’échine.
Et puis d’ailleurs, puisque ces livres sont faits pour être expédiés, ils pourraient aussi bien servir de message subliminal au récepteur. Quand on lit les réponses de Lou et plus tard celles de Madeleine, on ne saurait mieux conseiller afin de séduire, celui de Guillaume. Qui s’y connaissait parfaitement pour démarrer les cœurs et les moteurs à explosion, oubliant toute prudence.
PHB
Merci pour cette belle découverte. En allant sur le site des éditions L’Orma on découvre quelques autres titres, comme celui sur et de Marie Curie : « La vie n’est pas facile, et alors ? ». Cela booste pour la journée, et plus si affinités.
Bonne journée.
Quelle belle collection !!!! Je l’ai découverte avec Apo, puis sont venus Pessoa, Voltaire…De belles mises en pli qui décoiffent !!!!!
merci…
je connaissais cette collection par le fascicule Voltaire
et maintenant une piqure de rappel… qui fait tellement de bien !
encore merci
…et après l’histoire de « zone » —un pli autrefois n’était-ce -pas un télégramme , un bleu…-avec ces courts pépiements- tapuscrits que l’on recevait avec des battements de coeur…
bonne jounée
journée
Au passage, cela redonne envie de flâner dans (ou à l’extérieur de, dans les bacs ou les découvertes ne sont pas rares) la librairie Delamain, un des (derniers?) grand espace dédié au livre de papier.