Le sculpteur anonyme de cette amulette phallique n’avait certes versé dans le genre allusif. Malheureusement, la notice qui l’accompagne n’en dit pas grand chose. On apprend néanmoins que cette statuette de bronze date du premier siècle après Jésus-Christ. Et qu’elle a été retrouvée 1900 ans plus tard sur le boulevard de Belfort à Amiens. Une vidéo publiée sur le Musée de Picardie nous en dit un peu plus. Elle était l’expression « d’un culte païen dédié à Priapus » et faisait partie de « la vie courante des Romains ». Parmi les nombreuses pièces archéologiques qui emplissent les sous-sols du Musée de Picardie, cette amulette amuse et étonne. Maintenant que l’établissement a été refait et bien refait, la visite en vaut la peine. Et conseil a été donné au visiteur de commencer par les sous-sol voûtés, là où se trouvent des trésors archéologiques, de la région et d’ailleurs. Ici c’est un peu comme le Louvre mais en plus compact, on y navigue également de surprises en surprises.
À commencer par ce casque encore en bon état de légionnaire romain. Il faut savoir, ce qui n’est pas indiqué, que Amiens, à l’instar de Limoges par exemple, a été créée par les Romains. C’était à proprement parler des villes nouvelles et il est courant qu’à chaque chantier urbain, des découvertes soient mises au jour. Face à ce casque, l’imagination peut travailler à son aise. On peut le remettre mentalement à neuf et imaginer le guerrier viril qui se trouvait dessous. Et conjecturer sur le jour pas fait comme un autre où le légionnaire l’a laissé tomber sans se douter bien sûr qu’on y construirait bien plus tard un cinéma. Peut-être en avait-il eu sa claque et qu’il avait décidé de retourner à la vie civile ou l’avait-il perdu à la suite d’une bagarre, voire d’une cuite entre copains de régiment. Il aurait pu prendre la peine de laisser un petit mot mais même de nos jours personne ne fait ça. Et puis il ne faut pas enlever le pain de la bouche des archéologues. Dans les soubassements du Musée de Picardie, objets de culte, outils variés et tombes nous interpellent. Le fond de l’histoire nous fait marquer l’arrêt et même les tréfonds de l’histoire lorsqu’il s’agit par exemple d’une molaire de jeune mammouth retrouvée à Ault en bord de mer. Du proboscidien au légionnaire romain c’est un peu le grand écart mais c’est ce qui nous permet de mieux éprouver le vertige du temps qui passe.
Dans les étages supérieurs, le département de peinture verse très peu dans l’art moderne mais plutôt dans l’époque ancienne et son aspect le plus intéressant est sans nul doute, comme la ficelle, la spécialité picarde des Puys d’Amiens, soit des œuvres offertes à partir du 14e siècle, par les membres de la confrérie Notre-Dame du Puy, à l’adresse de la grandiose cathédrale. Cette confrérie nous dit-on, rassemblait des « notables clercs ou laïcs pour glorifier la Vierge ». Et que le terme de « Puy » signifiait « estrade », là où les poètes venaient déclamer des compositions. Par extension, les œuvres peintes données à la cathédrale ont ainsi pris le nom de Puy. Le 2 février, est-il encore explicité sur la notice, « jours de purification de la Vierge et de la chandeleur », se déroulait la fête principale de la confrérie. Le maître de l’année créait une devise, « appelée palinod » et choisissait un artiste chargé de la transposer en image. Ces offrandes ont duré jusqu’au début du 18e siècle, mais il y en eu trop et les chanoines décidèrent de se débarrasser de celles qui n’avaient pas de valeur à leurs yeux.
Le Musée de Picardie en conserve une vingtaine dont les dates de réalisation s’échelonnent entre 1499 et 1666. Elles sont assez stupéfiantes notamment à travers celle de Mathieu Prieur, une huile achevée en 1603. Il s’agit d’un arc de triomphe, à la mode de l’époque paraît-il, avec en vedettes autour de la Vierge, Dieu le Père, deux prophètes de l’Ancien Testament et même Henri IV accompagné du dauphin Louis, c’est dire si l’artiste ne reculait pas devant les anachronismes. S’y ajoutent un nombre impressionnant de personnages nous fixant du regard avec une acuité et une fraîcheur telles qu’on les verrait presque sortir du cadre pour nous serrer la main. La magie opère toujours, c’est là le génie de l’artiste que d’échapper à toute péremption.
Le Musée de Picardie a de nouveau ouvert ses portes au printemps dernier après une longue période de travaux et d’embellissement. On en sort comme d’une encyclopédie avec un net sentiment d’enrichissement. Le visiteur y éprouve même quelques bouffées de chaleur inattendues au département des sculptures avec une remarquable collection de naïades toutes plus érotiques les unes que les autres, comme cette œuvre en marbre de Jules Roulleau présentant Zeus en cygne s’acharnant à obtenir de Léda une dernière étreinte. C’est assez convaincant au point que pour se rafraîchir les sens on gagnera à s’émerveiller -littéralement- de cette sculpture polychrome figurant Marie-Madeleine au jardin, un enfant dans les bras. Elle date du 13e siècle et a été trouvée scellée dans le mur d’une propriété. Un trésor de plus au point que nous en sommes presque débordés.
PHB