Le goût de la zone

Depuis ses lointaines origines grecques, le mot « zone » a taillé sa route. Pour être plus exact, il s’est décliné, démultiplié en de multiples acceptions. En grec il signifiait tout bonnement « ceinture » mais il n’est pas certain que les Hellènes aient cru bon d’aller au-delà, afin de former des syntagmes à tout faire comme 2000 ans plus tard. Dernier avatar en date, l’idée répétée jusqu’à la nausée, est qu’il serait bon, pour le bourgeois pépère, de « sortir de sa zone de confort ». Bref de lâcher la bride, traverser les frontières du moi afin de gagner quelque périlleux point de Lagrange, voire carrément de rallier l’héliosphère, zone de tous les possibles. Quand il avait -génialement- titré son poème « Zone », Apollinaire s’était inspiré d’un périmètre détaxé quelque part aux confins du Jura. Ce faisant et cela n’a pas assez été souligné, il avait ainsi réalisé, peut-être pour la première fois de l’histoire, une ode d’inspiration fiscale.

Dans la série « Kebra, le zonard des étoiles » de Tramber et Jano, album de BD sorti en 1982, le héros des cités de banlieues était justement sorti par accident de sa zone de confort, en chevauchant à l’arrache un scooter spatio-temporel. En l’occurrence le terme était assez juste puisque le zonard, autrefois soldat de première classe (fin 19e) a désigné par la suite l’habitant pauvre de la ceinture parisienne. On le dénommait également zonier, mais le vocable a fait long feu au profit du premier. Par la suite, suivant les événements de mai 1968, le zonard est devenu une sorte de glandeur professionnel, spécimen de « clochard céleste » ainsi que l’avait romancé l’écrivain américain Jack Kerouac.

Globalement lorsque l’on pense zone, on évoque un endroit, aux frontières plus ou moins précises. Dans le domaine médical les aires du cerveau sont dénommées les zones corticales et l’on peut supposer dans ce cas précis qu’elles sont assez nettes en ce qu’elles ne peuvent dépasser le contenant crânien. Mais bien plus rigolotes, parce que aléatoires, sont celles dites « érogènes » et rien qu’en les évoquant, on sent déjà la température de notre espace de confort qui se réchauffe. C’est quand même autre chose que d’étudier les environs stratégiques du nombril, au lieu de disserter sur la zone euro (presque cousine), les zones tampons, les zones à urbaniser en priorité (les fameuses ZAD), les zones de guerre, les zones d’intervention, les fans-zones, voire d’évoquer les anciennes zones bleues qui délimitaient la réglementation du stationnement urbain et jusqu’à la « no go zone » où, dit-on, le droit est en péril. Et sans compter l’hyper-zone où l’on est tous attendus pour un pot de bienvenue, passé le dernier virage terrestre.

Le corps humain est donc ainsi fait qu’il dispose d’endroits-clés, lesquels, correctement stimulés, peuvent provoquer des sons allant du simple gémissement à des brames sismiques. Notre anatomie ne connaît pas en principe les aléas de la démarcation avec sa zone libre et sa zone occupée, sauf si l’on tient vraiment à jouer sur les mots. Nous remarquerons simplement que le mot érogène vient -encore- du grec et que dans son acception moderne il est un attelage du désir et de sa potentielle apparition. Ce qui fait proprement de l’explorateur des surfaces érogènes de son (ou de sa) partenaire, un zonard un peu particulier quand même. En littérature on préfère désigner l’amant ou l’amante. Le style y gagne ce que la précision y perd mais, qui s’en inquiète.

Le moment est venu de parler du zonure (l’occasion ne se présentera pas deux fois), dont l’étymologie inchangée désigne un reptile saurien d’Afrique du sud dont la queue est cerclée d’anneaux. Quelques recherches sur la sexualité des lézards tendraient à montrer qu’ils possèdent deux pénis symétriques qui ne sortiraient de leur fente cloacale qu’au moment de l’accouplement. Sauf erreur le zonage érogène du zonure, doublement armé donc, n’a pas outre mesure été cartographié.

Pour finir et il est temps car le sujet s’épuise vite, rappelons qu’Apollinaire avait écrit dans un calligramme: « Et je fume du tabac de zone ». Ce qui nous procure une chute toute faite sur la raréfaction des zones fumeurs, il n’y en a presque plus, nos civilisations tendent à les bannir et c’est bien dommage. Car c’étaient déjà des zones de confort dans lesquelles, on l’a dit, il est de plus en plus déconseillé d’y croupir.

PHB

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7 réponses à Le goût de la zone

  1. En tout cas, vaut mieux pas de zona !

  2. Jacques Ibanès dit :

    Si j’étais fumeur, je m’en serais grillé une, dans le contentement de la relecture. Merci de nous offrir un texte aussi allègre pour démarrer la semaine!

  3. Yves Brocard dit :

    Certaines zones perdent leur label pour en trouver de nouveaux. Ainsi la « zone » qui cernait Paris : « faubourgs misérables qui se sont constitués (malgré la loi) sur les terrains des anciennes fortifications de Paris » nous dit le Petit Robert, a été relabellisé « banlieues », puis les « quartiers », désormais les « territoires ». Dans d’autres contrées on appelle cela des « favelas ». Ou encore « zones de non-droit ».
    Une zone est plus trouble, malgré son nom qui se veut rassurant : la « zone franche ». « Libérée de certaines servitudes » nous dit Robert. Des paradis quoi !
    Bonne journée.

  4. François Méténier dit :

    Et les zones érogène?
    doivent avoir des commentaires!

  5. Philippe PERSON dit :

    La Zone… C’est là où se rend le Stalker dans le film du même nom de Tarkovsky…
    Cela nous conduit à Tchernobyl où il y a depuis la catastrophe une « zone » interdite avec ces mutations d’animaux et de végétaux et des stalkers qui la visitent au risque d’en revenir contaminés et de transmettre cela à leurs descendants…
    Comme toujours le chef d’oeuvre face à l’horreur…

  6. Debon dit :

    Savourissime, comme d’habitude. Merci. Claude

  7. Hormiguero dit :

    Article très réjouissant qui donnerait presque envie de devenir zonard !

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