Pour ce qui est de chercher puis de trouver l’inspiration, André Breton avait une solution qu’il avait théorisée en fusionnant deux principes, celui du « hasard objectif » et de « l’équation de l’objet trouvé ». C’est ainsi qu’un week-end de printemps de l’année 1934, il avait accompagné son ami Alberto Giacometti au marché aux puces afin de l’aider à trouver l’idée qui lui permettrait d’achever une sculpture féminine. L’écrivain dénicha une drôle de cuillère en bois se terminant par une chaussure, mais son idée d’en faire un « cendrier-Cendrillon » grâce à Giacometti ne débouchera pas. Ce dernier en revanche, en arrêt devant un demi-masque en tôle, put remettre en route son génie créatif. Il en résultera « L’objet invisible », remarquable sculpture à la beauté énigmatique (détail ci-contre) qui nous est donnée à voir à la Fondation Giacometti. Nichée dans le 14e arrondissement, celle-ci propose en ce moment-même et jusqu’au 10 avril, une exposition sur les « Amitiés surréalistes » des deux hommes.
La domination intellectuelle de Breton était telle qu’elle semble ici écrasante. Le chef de file des surréalistes ne partageait certes pas son leadership. Il l’imposait. Tel Saint-Jean, il baptisait les nouveaux convertis, les radiait à l’occasion d’un procès (comme celui de Salvador Dali) et les réintégrait selon son bon plaisir. Une vision caricaturale et même exagérée selon Anne Egger qui signe dans le catalogue, un texte des plus intéressants. L’historienne tient en effet à balayer les idées reçues concernant un mouvement dont on a dénombré jusqu’à trois cents adhésions, le tout sur une cinquantaine d’années. Pour elle, les surréalistes sont avant tout des contestataires, « en rupture avec leur époque » et donnant libre à cours à leur imagination, « hors de toute convention ». Là encore, André Breton avait passé deux concepts au mixer. Celui de Karl Marx qui prônait la transformation du monde et celui de Rimbaud qui recommandait de « changer la vie ». Fort de ce smoothie ainsi élaboré, Breton pouvait ainsi déclarer qu’il fallait refaire « l’entendement humain » avec pour objectif immodeste d’aboutir à une nouvelle déclaration des droits de l’homme.
Pour Anne Egger, le surréalisme inventait « une nouvelle forme d’être ensemble, un rassemblement libre et spontané de personnes en fonction de liens affectifs ou d’affinités poétiques ». Leur bannière, composée de « poésie, d’amour et de liberté » faisait effectivement la différence (ou écho) avec le triptyque républicain. Du moins pour tous ces artistes et intellectuels qui tenaient à faire bande à part, elle le complétait. Breton était le « coordinateur » intraitable, sourcilleux et ombrageux de cette valeur refuge. Mais Anne Egger cite opportunément et par ailleurs, l’écrivain Julien Gracq, lequel avait quelque peu brocardé les rituels d’admission et d’exclusion du groupe, moqué la disgrâce des arts d’agrément et établi un index des lectures autorisées et défendues.
Giacometti a rencontré Breton par l’entremise de Louis Aragon. Il pratiquait déjà une certaine forme de dissidence dans l’art en ayant notamment créé une « Boule suspendue » (ci-contre) une œuvre en bois, fer et corde, composée d’une sphère et d’un croissant suggérant une glissade. Elle sera exposée en 1930 à la Galerie Pierre, « lieu phare de l’art surréaliste » selon la présentation de Serena Bucalo-Mussely, la commissaire de l’exposition en cours. Ce faisant, Giacometti rejoignit un groupe de personnalités forts différentes comme Dali, Miró ou encore Max Ernst.
Déjà qu’il n’est pas forcément simple d’aborder la patrie sans frontières du surréalisme sans se mobiliser les méninges, Serena Bucalo-Mussely nous rappelle en outre qu’il y eut une scission (provoquée par Aragon) entre les chantres d’un surréalisme orthodoxe et ceux d’une branche davantage politisée. De quoi se fâcher certes, créer des chapelles, mais on ne devait pas s’ennuyer. Pour Giacometti qui sortait et entrait dans la surface surréaliste au gré des événements et de ses humeurs, il y aura tout de même une rupture, occasionnée par son retour au figuratif. Ce qui lui fera dire dans un genre de divorce où la déclaration vaut acte: « Je n’ai plus rien en commun dans ma recherche, ni avec les abstraits, ni avec les surréalistes ». Cette saillie lui vaudra une motion de défiance, valable jusqu’à son hypothétique repentance.
En tout, Giacometti aura passé cinq ans au sein du groupe surréaliste de 1930 à 1935. Les disputes sont désormais muettes. L’exposition en cours n’en est pas moins passionnante. Les échanges tumultueux ont donné quelque chose de fort substantiel que la scénographie exigeante mais impeccable, restitue parfaitement à travers sculptures, croquis et ouvrages variés. Il y règne un parfum anti-conformiste qu’il n’est pas désagréable de respirer alors que dehors prospèrent nombre de couloirs étanches à la liberté de penser.
PHB
Le véritable père du surréalisme n’étant pas Breton, mais Freud lui-même !
Bel article reflétant l’exposition, que je vais aller voir, montrant la relation quasi impossible entre Giacometti et Breton, le premier étant libre et figuratif, le deuxième autoritaire et borné. Il en fut de même avec beaucoup d’autres, à commencer par Picasso, que Breton voulut introniser comme premier apôtre du surréalisme mais qui ne se laissa par prendre dans les filets du Pape auto-déclaré. Incidemment, Picasso eu pendant « les années Eva Gouel » son atelier dans la maison contigüe (au 5bis) à celle du décorateur Paul Follot, où est installé l’Institut Giacometti. Malheureusement son atelier, qui était au deuxième étage, a été depuis transformé en appartement.
Bonne journée
Ces gens là,pas Giacometti,ont un peu trop mis en scéne leur « rebellitude »
Quasi institutionnelle ce qui leur vaut
Aujourd’hui la révérence des pouvoirs en place,tout comme Dali ou Magritte,ces publicitaires déguisés en peintres!