Satire planétaire

Grand succès pour «Don’t look up» sorti le 24 décembre dernier sur Netflix. Il s’agit pourtant d’un film sur la fin du monde, mais le cinéaste Adam McKay tempère son message apocalyptique d’une bonne dose de satire. Plus étonnant encore, le film est devenu en France celui «dont tout le monde parle», son message étant pris au premier degré.  Il faut dire que le sujet est d’une actualité imparable, à l’heure où les mots de changement climatique, biodiversité, décarbonisation, océans en péril, etc. sont sur toutes les lèvres, voir la campagne présidentielle. Mais il semblerait qu’il y ait un certain malentendu entre le succès sur Netflix et l’attention portée chez nous au film. De quoi s’agit-il ? Deux modestes astrophysiciens de l’État du Michigan, le patron et une de ses assistantes, découvrent un beau soir qu’une comète de 5 à 10 kilomètres de large se dirige droit vers la terre, qu’elle anéantira dans six mois et quatorze jours. Ils font et refont leur calcul, et sont de plus en plus terrifiés et paniqués. Il faut avertir le pays tout entier ! À commencer par la présidente des États-Unis !

Les voilà embarqués dans un avion privé du Pentagone vers Washington, où ils sont accueillis par le professeur Oglethorpe, à la tête du «Bureau de Coordination de la Défense planétaire». Sur l’écran, on nous indique: «The Planetary Defense Coordination Office» existe vraiment ! Autrement dit et c’est peu dire : la réalité dépasse la fiction. Les deux héros arrivent à la porte du bureau Ovale, mais la présidente des États-Unis a mieux à faire (fêter son anniversaire, notamment) que de les recevoir, et les fait attendre pendant sept heures, durant lesquelles leur épuisement s’accroît et leur moral sombre encore davantage. Le film raconte ensuite comment les deux scientifiques vont se heurter au mépris, au déni et aux sarcasmes de tous, de Mrs President jusqu’au dernier des rednecks, et c’est là le vrai sujet. Ce qui ne semble pas avoir été perçu en France, où la catastrophe écologique annoncée polarise l’attention.

Ainsi le 19 janvier dernier, Le Monde publiait deux nouvelles tribunes, l’une de la philosophe Élise Domenach écrivant «Mais la question se pose aussi de savoir si Adam McKay a tenu la gageure de poser au grand public des questions centrales dans le cinéma écocritique». L’autre, signée de l’écologue Philippe Grandcolas, est titrée «Le film est entouré d’un silence assourdissant sur la crise de la biodiversité». Mais le film en question a-t-il pour but de poser «des questions centrales» sur l’écologie ou de dénoncer «la crise de la biodiversité» ? C’est là que réside le malentendu, et il est souligné par la page que Le Monde avait consacré, le 5 janvier dernier, à l’interview du climatologue Michael Mann, directeur du «Earth System Science Center» de l’université de Pennsylvanie, qui aurait directement inspiré le personnage de l’astronome du Michigan interprété par Leonardo DiCaprio (pleutre à souhait). Le climatologue estime, lui, que le film est «une métaphore puissante de la crise climatique en cours» mettant en cause les lobbies, d’autant plus efficace qu’il se présente comme une comédie.

En effet, Adam McKay est un maître de la satire, ce qu’il a amplement démontré en 2015 dans «The Big Short», en français «Le casse du siècle», où une bande petits malins comprennent avant tout le monde que le marché des prêts hypothécaires est faussé et corrompu. Il a récidivé en 2018 avec «Vice», titre qui dit tout sur le personnage du vice-président Dick Cheney, l’homme le plus puissant du pays de l’ère Bush. Seuls les Américains savent manier à ce point la satire de leurs hommes politiques, et de leur société en général.

«Don’t look up» est bien un film apocalyptique sur le déni climatique, mais ce qui intéresse McKay est de dresser un état de la société US post Trump noyée sous un déluge de fake news et d’images abêtissantes, et tout va y passer, à un rythme infernal. À commencer par Mrs President herself, interprétée avec toutes les nuances d’arrivisme et de bêtise possibles par une Meryl Streep aux longues boucles blondes, qui une fois alertée par les deux scientifiques, ne trouve rien d’autre à dire que : «On attend et on avise». Car ce qu’elle vise, ce sont les élections de mi-mandat, donc pas de vagues pour le moment. Quant à son chef de cabinet, son débile de fils (Jonah Hill), on ne peut rêver personnage plus antipathique, et une photo où on les voit côte-à-côte évoque naturellement Trump et sa fifille préférée, Meryl Streep étant elle-même une version trumpienne féminine.

Autres scènes dévastatrices, celles d’une émission télévisée soit disant d’actualité, «The Daily Rip», menée en duo par Brie, une belle blonde en robe rouge sexy, et Jack, un Noir assurant la diversité. Ce soir-là, nos deux héros passeront en dernier. Premier sujet : le candidat à la Cour Suprême a-t-il fait du porno soft ? Deuxième sujet : le break up de la star pop Rila et de son chéri le DJ Chello. «Ici on édulcore les sujets trop lourds», précise Brie aux bons derniers. Cate Blanchett s’est glissée dans la peau de la présentatrice avec un art tel qu’on met un moment à la reconnaître, et sa performance est à la hauteur de celle de Meryl Streep.  Ou de celle du roi des planches anglaises Mark Rylance, en gourou très suave à la Steve Jobs, voyant dans la fin du monde l’occasion de démultiplier sa fortune. Il survivra sur une autre planète, tandis que la présidente sera dévorée sous ses yeux et les nôtres par une sorte de dinde géante.

Autant dire que nous sommes plus dans l’ambiance de l’hilarant «Mars attacks» de Tim Burton  (1996)que dans le très mélancolique «Melancholia» (2011) de Lars von Trier. D’où le succès planétaire sur Netflix et la méprise française.

 

Lise Bloch-Morhange

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3 réponses à Satire planétaire

  1. catherine Chini Germain dit :

    Chère Lise,
    J’ai comme toi énormément apprécié cette satire que les américains savent faire et que tu racontes si bien avec ton humour habituel.
    Je ne suis seulement pas d’accord avec ta conclusion indiquant une méprise Française,.
    On peut apprécier ce film , sans être familier avec les arcanes de la politique US et le voir à sa manière.

  2. Lise Bloch-Morhange dit :

    Merci Catherine pour ton commentaire,

    d’autant que c’est intéressant de ne pas être d’accord en tout et de discuter !
    Il me semble que le succès planétaire du film s’appuie sur son aspect satirique, alors qu’ en France les responsables et hommes politiques voient essentiellement dans le film la dénonciation d’un déni climatique et écologique.

  3. Solange Aincy dit :

    Bonjour Lise,
    Ton décryptage des messages d’Adam Mc Kay est interessant et intelligent.
    Si la perception des français n’est pas celle des américains, n’est – ce pas normal – culture différente –
    Et n’est-ce pas la résultante d’une oeuvre à diffusion « internationale »?

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